
Quel sera le musée de demain ? Quel avenir pour le ballet ? Comment allier tradition et modernité ? Ce sont ces réflexions qui ont réuni Pantxika De Paepe, conservatrice et directrice du Musée Unterlinden, Bruno Bouché, chorégraphe et directeur artistique du CCN·Ballet de l’Opéra national du Rhin et Silvère Jarrosson, auteur de l’installation L’Œuvre qui va suivre présentée au Musée Unterlinden du 5 au 24 mars 2023. Afin de susciter la curiosité du public, une programmation culturelle accompagne l’œuvre de l’artiste tout au long du mois.
Exposée dans l’espace de la Piscine, une extension du Musée Unterlinden conçue par les architectes Jacques Herzog & Pierre de Meuron en 2015, L’Œuvre qui va suivre présente les décors de Danser Schubert au XXIe siècle, un spectacle dirigé par Bruno Bouché en 2021, et deux créations inédites. L’ensemble est composé de peintures abstraites, aux formats impressionnants, dominées par le noir et blanc. Des touches d’ocre rehaussent les tons sobres de la toile.

La renaissance de l’expressionnisme abstrait
La peinture de Silvère Jarrosson évoque d’emblée l’expressionnisme abstrait ou l’abstraction lyrique, deux mouvements artistiques qui ont connu leur heure de gloire dans les années 1950-1970. Sous l’effet d’une pulsion, le geste des peintres se veut libre, spontané et vif. L’explosion de couleurs déployée sur la toile renforce l’expressivité des artistes. Bien que Silvère Jarrosson se méfie des catégories, souvent trop réductrices, il se retrouve dans l’œuvre de Hans Hartung ou Olivier Debré, tous deux présents dans les collections du Musée Unterlinden.
Silvère Jarrosson invite les visiteurs à déambuler et à s’immerger dans des paysages oniriques. Voyage intérieur, spirituel ou fantasmé ? Le doute envahit les spectateur·ices. Les toiles, qui sont le résultat d’une technique variée d’acrylique et d’huile, livrent lentement leur secret. Les motifs émergent progressivement, notamment grâce au dripping qui consiste à laisser couler la peinture. L’artiste ponce également ses œuvres afin de révéler ce qui a été recouvert par les couches picturales. Silvère Jarrosson ne pratique pas une peinture impulsive, il maîtrise toujours son geste même si une part de hasard est inévitablement présente. Les toiles s’animent au fil des coups de pinceaux et des mouvements du peintre.



Une ode au mouvement
Ancien danseur à l’Opéra national de Paris, Silvère Jarrosson élabore son travail pictural comme une chorégraphie en soulignant les liens entre les mouvements de la peinture et ceux du corps. L’Œuvre qui va suivre est dans la perspective de la collaboration initiée par Silvère Jarrosson et Bruno Bouché pour Danser Schubert au XXIe siècle donné au Théâtre de La Sinne à Mulhouse et au Théâtre municipal de Colmar. Le mouvement est primordial pour l’artiste et le chorégraphe : l’un donne vie à ses peintures grâce au geste tandis que l’autre met en mouvement des images archétypales par le déplacement des corps dans l’espace. Un dialogue entre peinture, musique et danse qui permet de déplacer les frontières entre les disciplines.

Une rencontre entre les grands maîtres de La Renaissance et les artistes contemporains
En 2022, le Musée Unterlinden et le CCN·Ballet de l’Opéra national du Rhin s’étaient déjà associés pour offrir un magnifique spectacle autour du célèbre Retable d’Issenheim peint par Matthias Grünewald entre 1512 et 1516. Au pieds du retable, des danseurs ont interprété Bless – ainsi soit-Il, une chorégraphie créée par Bruno Bouché en hommage à la peinture murale, La Lutte de Jacob avec l’Ange, dépeinte par Eugène Delacroix pour l’église Saint-Sulpice à Paris. Une musique de Johann Sebastien Bach accompagnait les danseurs au rythme de leurs pas.

l’inauguration du Retable d’Issenheim restauré, au Musée Unterlinden,
2022 © Agathe Poupeney.

l’inauguration du Retable d’Issenheim restauré, au Musée Unterlinden,
2022 © Agathe Poupeney.
Silvère Jarrosson continue de tisser des liens entre les chefs d’œuvres de La Renaissance et ses œuvres contemporaines. Il s’attache à la représentation des plis qui produisent une impression de mouvement, de fluidité et de légèreté. L’artiste met en parallèle ses plis avec ceux de Martin Schongauer, Claude Monet, Olivier Debré ou encore Fabienne Verdier dont l’exposition Le Chant des étoiles est visible jusqu’au 15 mai 2023. Ainsi, les drapés traversent les époques, les styles et les salles du Musée Unterlinden.
Parfois aussi, la peinture acrylique, en coulant sur la toile, donne une illusion d’épaisseur. Un drapé d’acrylique apparaît, troublant de réalisme. Hommage imprévu à l’histoire de l’art.
Silvère Jarrosson
Un projet aux multiples formes
En intégrant les décors de Danser Schubert au XXIe siècle à sa spectaculaire installation, Silvère Jarrosson interroge le statut de son œuvre : d’objet décoratif, elle se transforme en un objet autonome exposée dans un musée. Pour réaliser ses œuvres monumentales, l’artiste a travaillé en compagnie de deux peintres des ateliers de décors de l’Opéra national du Rhin. Tous trois ont reproduit les œuvres du peintre réalisées préalablement à petite échelle.

Le titre de l’exposition L’Œuvre qui va suivre prend alors tout son sens. Les œuvres de Silvère Jarrosson s’inspirent constamment les unes des autres. Les œuvres naissent, se suivent et s’engendrent. Finalement, l’œuvre elle-même est en perpétuelle mouvement et évolue selon les modalités de monstration. Elle est d’autant plus modulable, qu’elle va se déplacer au fil de la programmation culturelle qui propose des pièces chorégraphiques, des performances, des lectures, des récitals ou encore des ateliers participatifs. Ainsi, danseurs, chorégraphes, musiciens, philosophes et public interagiront avec les peintures de l’artiste.
Le musée, un lieu de spectacle vivant ?
Les liens entre la tradition et la création sont en permanence à réinventer. Rien n’est figé et encore moins des institutions telles que le musée et le ballet. L’approche interdisciplinaire adoptée par le Musée Unterlinden et le CCN·Ballet de l’Opéra national du Rhin est une première solution pour faire vivre ces lieux. La danse pénètre les murs du musée et la peinture s’immisce au cœur du ballet. L’Œuvre qui va suivre se trouve à la lisière de l’exposition, de la programmation culturelle et du spectacle vivant. Cette forme artistique hybride appelle tous les artistes, qu’il soit danseur, peintre ou musicien, à repenser les missions d’un musée, les codes du ballet et ceux de la peinture. L’espace muséal n’est plus uniquement le lieu de la connaissance et de la contemplation mais également le lieu d’expérimentations.