
En mars, la rédaction de Florilèges était invitée à la Fondation Cartier afin de découvrir le renouveau du festival d’art contemporain de Toulouse, à savoir le Nouveau Printemps. Créé en 1991 par Mathé Perrin, le festival pris place pendant dix ans à Cahors. Les premières manifestations permirent de promouvoir une diversités de pratiques, confrontant le cinéma, la photographie et les arts plastiques à de nouvelles images. En 2001, le festival déménagea à Toulouse en prenant une orientation plus marquée, caractérisée par la mobilité et l’hybridité. Le festival se voulait en accord avec la pratique contemporaine, les performances convoquées à partir de différents champs – art sonore, théâtre, danse, poésie et arts plastiques- s’accordaient à la volonté d’un renouveau artistique. Pour l’édition 2023, le festival souhaite interroger les liens entre la culture humaine et celle du monde vivant.
Artiste associée, quartier sélectionné
Matali Crasset fut choisie pour cette nouvelle édition comme artiste associée. Designer française, elle défend un stylisme à la croisée d’une pratique artistique, anthropologique et sociale. Interrogeant la manière dont le design permet le vivre ensemble et de nous accompagner dans le monde contemporain, l’artiste a récemment publié un texte en collaboration avec David Bihanic. Nommé Matrices, l’ouvrage prône un modèle de design et d’architecture permettant de renouveler notre rapport à la nature. En partant de leurs projets et de différents témoignages ils mettent en œuvre un système de matrices par un mobilier modulaire et des micro-maisons. Ils n’entendent pas ressasser des modèles prêt à appliquer mais cherchent à proposer de véritables hypothèses de travail. Reconnaissable par son emblématique coupe au bol et ses lunettes blanches imposantes, Matali Crasset semble convenir tout à fait à cette nouvelle image écologique mise en avant par les organisateurs.

Le quartier Saint Cyprien fut choisi comme espace d’accueil pour la première du festival revisité. Ce quartier est présenté comme cosmopolite et accueillant, son intérêt semble davantage résider dans la manière dont les lieux culturels ont été transformés : l’abattoir fut métamorphosé en musée tandis que le château d’eau est devenu une galerie sous l’impulsion de Jean Dieuzaide. La quartier fut également marqué par les différents épisodes de crue de la Garonne qui font résolument écho avec l’enjeu d’encrage local et de durabilité mis en avant. Invoquant les architectures spécifiques à l’histoire de la Garonne, les micro architectures réalisées par Matali Crasset, à savoir le Carrelet et le Moulin à Nef, seront quant à eux des lieux d’accueil, entre rencontres et ateliers. En effet l’enjeu du festival est de susciter la rencontre entre l’art et un vaste public n’étant pas nécessairement familier avec le milieu culturel contemporain. En effet, à la décontextualisation aseptisée des œuvres aux sein des institutions, le festival propose d’immiscer les réalisations au sein du quotidien des habitants du quartier.
Le monde vivant au centre de la proposition artistique et scénique
Camille Grosperrin et Julien Dailly signent à l’occasion du Nouveau Printemps leur première collaboration dans un réalisation se voulant à la fois sculpturale et sonore. Au cœur de la Chapelle de la Grave, une construction en bois abritera un ensemble de céramiques. Mise en mouvement par un moteur, l’interaction entre les éléments produira un son dépouillé au sein de l’acoustique du lieu. Les Invisibles articule une recherche musicale expérimentale à la mise en scène d’une frontière perméable entre fiction et réalité. Les céramiques reprennent des motifs liés à la faune locale et à la Garonne, interrogeant les rapports qui se tissent entre l’Homme et l’animal. Cornelia Hesse Hodegger interroge dans une perceptive tout à fait différente ces mêmes relations par des aquarelles héritées des dessins naturalistes du XIXe siècle. Depuis plus de trente ans, l’artiste suisse sillonne les environs des centrales nucléaires afin d’étudier les conséquences de ces radiations sur les insectes et la flore locale.

A partir de ces observations au microscope, elle inventorie ces prélèvements et réalise des aquarelles des organismes mutants qu’elle rencontre. Par ses œuvres saisissantes, Cornelia Hesse Honegger suggère que les radiations faibles émises par les centrales nucléaires, ont bien des effets significatifs sur les êtres vivants. Cela pourrait être à l’origine d’un désir, celui de relever collectivement nos manches pour envisager un monde nouveau. Matali Crasset envisage la maison comme un cocon légitime qui permettrait à l’homme d’adopter bien souvent une posture passive avec des relents d’éco-anxiété. Là où l’humain avait de influence sur la faune et la flore locale avec Cornelia Hesse Hodegger, les polypores de confort montrent, en poussant sur les façades des maisons, comment cette nature pourrait nous inviter à agir.
Quand la réutilisation réactive
Au jardin des Herbes de Sainte-Monique, l’organisation internationale Constructlab développe un projet relevant du temps long et de le maturation. En effet, ils réalisent des architectures éphémères en collaboration avec des acteurs locaux. Leur démarche est caractérisée de la conception à la réalisation de leurs espaces par la conscience environnementale, traduit le plus souvent par l’utilisation de matériaux recyclés. Il s’agira de rassembler la culture, la récole et la transformation des herbes en ce lieu composé de trois espaces. Il existerait un dialogue entre le recyclage des matériaux, et celui exercé par la nature à la base des écosystèmes. Ce lieu est également un lieu d’échange, un third place. Aujourd’hui nos modes de vie, marqués par la sédentarité et la crise du covid, nous ont habitués à rester chez nous. Les third place font référence aux lieux de socialisation se situant en dehors du travail ou de l’espace domestique et offrant un lieu de partage à la fois de l’espace physique mais également social et intergénérationnel. C’est aussi une manière de revenir à des pratiques essentielles, relevant de l’écoute de la nature et d’un apprentissage à ses côtés.

Les œuvres de Marinette Cueco témoignent de ce relent de culture paysanne. Se refusant à acheter des matériaux, elle tresse, noue et tricote des pièces qui vont constituer des œuvres monumentales et modestes. Pour nos lecteurs dix-neuvièmistes, lire ses lignes pourrait se rapprocher de la parole de La Fileuse de Jean-François Millet. En effet, son travail résolument actuel, par la réutilisation de matériaux naturels, est associé à un discours intemporel : « Et puis, il y a des obsessions hivernales : la peur du froid, du mouvement, du dehors, la vie au ralenti, l’enfermement, l’engourdissement. Alors je répète des gestes obsessionnels : la tresse, la tresse mise en pelote » (Extrait de Marinette Cueco, Pierre Vannier, Hivernages, cat. Exp. L’ARC ; Le Creusot, 1991). Au Nouveau Printemps, elle présentera une série d’entrelacs et d’arachnées d’une ostensible fragilité. Ainsi elle mêle à sa pratique matérielle du recyclage, un discours pouvant révéler la fragilité des relations entre humains et araignées. Repoussantes, leur disparition témoigne de l’influence des modes de vie humain sur leur existence, mais également questionne le rapport ému que nous entretenons au sujet de la disparition de certaines espèces (comme les abeilles), et non à celles se montrant également essentielles.
Un regard anthropologique
Le commissaire italien Ivo Bonacorsi réunira au réfectoire de la grave le travail de trois artistes norvégiens : Marianne Heske, Lars Laumann et Frida Orupado. Chacun bien qu’issus de générations différentes développe un regard anthropologique sur le monde. La première est une artiste norvégienne, qui part ses peintures vidéos et ses installations explore l’interaction entre l’humanité et la nature. Avec Gjerdeloa, l’artiste a déplacé une grange de 350 ans de Tafjord au Centre Pompidou. Il s’agirait d’une des premières œuvres d’art conceptuel en Norvège. L’on montre ainsi que les périphéries questionnent également cela, loin du regard américano-centré de ces questions. Frida Orupado est quant à elle une sociologue-artiste vivant à Oslo. Elle réalise des collages à la fois numériques et physiques explorant des questions liées à la sexualité, l’identité ou l’origine ethnique. Enfin, Lars Laumann s’intéresse aux traditions locales, aux personnes vivant en marge de la société contemporaine, du néocapitalisme. Ainsi son travail renvoi aux pratiques anciennes des marginaux de la société. Il réalise par exemple des cartes nautiques, à l’encre sur papier.

Le Collectif Ultra Ordinaire propose une autre manière d’envisager l’humain, et plus particulièrement sa mobilité. En effet, ils proposent une vélo transformable et appropriable par les usagers. Il s’agit de penser la mobilité du futur par un nouveau rapport à la production. L’organisme regroupe diverses professions offrant une multiplicité de compétences, les ingénieurs, mécaniciens et designers travaillent ainsi conjointement . Au sein du festival, le collectif tiendra une usine mobile (un véritable atelier de fabrication), en invitant le spectateur à imaginer les mobilités de demain, le tout en bambou. Enfin, l’on peut également envisager les dessin de Pierre La Police questionnant les liens entre les différents sens prêtés à la notion de culture. Il explore les relations que les hommes entretiennent avec leur environnement naturel en soulignant le malaise et l’ironie de la vie contemporaine. Ainsi, avec sa série de dessins présentée sur des grands mats, il ironise par des figures tout droit sorties d’une bande dessinée de science fiction, colorées et amusantes.
Photographie et audiovisuel à l’honneur
Alors que certains cherchent à s’approcher des orages pour capturer leurs plus beaux clichés, d’autres en font un objet sensuel, assouvissant des « pulsions orageuses ». L’installation de Popline Fichot nous plonge en effet au cœur d’une forme de fétichisme, celui d’une femme keraunophile dont la quête de plaisir est assouvie à travers la fulguration. En effet, l’électricité qui traverse le corps provoquerait une sensation très puissante relevant d’un excès de souvenirs enfouis pour certains, ou d’une rencontre avec des bribes d’instants inconscients pour d’autres. Ainsi, à la différence des foudroyés, en survivant à ces décharges électriques, il est courant que l’électricité marque le corps de son passage. Les photographies mettent ainsi en scènes les motifs nervurés, dans un ode à assouvir ses pulsions malgré leur étrangeté. Julien Carreyen avec Les citrons du Tarn proposera quand à lui ses travaux autour du polaroid où l’aléatoire est de mise, le résultat échappant à l’artiste.

Enfin, avec Chronos-Swiller, Juli Susin propose une enquête temporelle sur le long terme questionnant le rapport à l’émigration et les règles liants le temps et l’espace. Un film proposé dans un premier lieu, réalisé en collaboration avec Raisa Aid, fait référence aux rituels métaphysiques des peuples indigènes du Paraguay, pays dont la réalisatrice est originaire. Ces différentes installations font de l’œuvre d’art un objet de contrebande. La partition musicale écrite par Jeanne Susin pour la bande son du film, traduit les mouvement du passage entre différentes dimensions et à des éléments de tout ordre se matérialisant dans « la zone d’embarquement ». Le spectateur trouvera au sein de différents contenants, des photographies, des fragments en céramique et des documents d’archive en transition vers leur statut de produit culturel.
Une critique de l’opportunisme muséal
Aujourd’hui les expositions mettent régulièrement en avant, de manière souvent opportuniste, la question des enjeux climatiques et environnementaux. Ces manifestations permettent de questionner le rôle de la place de l’art et des artistes sur ces enjeux de société. La Fondation Cartier, associée au Festival, présente par exemple l’exposition Fabrice Hyber tirant son inspiration de la Vallée, domaine de l’artiste en Vendée, et réalisant une œuvre où la nature est omniprésente. Tandis qu’à la Bourse de Commerce, l’exposition Avant L’orage questionne sur fond greenwashing l’instabilité de nos paysages face aux changements climatiques. Cependant, l’exposition actuelle à la Fondation Cartier peut paraître décalée. En effet, Fabrice Hyber est présenté comme un artiste voulant transmettre ses connaissances. Ses tableaux pourraient ainsi relever d’un art scientifique, expliquant les différentes relations ayant lieu dans le monde du vivant. Bien souvent cependant, ces tableaux sont hermétiques car relevant du croquis géant d’un passionné. De nombreuses couleurs font que le tout reste plaisant à voir, cependant il est dommage d’envisager ses connaissances comme légitimes étant donné que sa formation en dehors des Beaux arts n’inclut seulement deux années de mathématiques appliqués. Le propos de l’exposition semble ainsi davantage porter sur le mythe de l’artiste découvrant la nature, que sur une démarche résolument tournée sur sa compréhension à l’aulne des dégâts provoqués par l’humanité. En ce qui concerne le festival cependant, à la présentation de ces différents éléments, il est difficile de ne pas croire en une posture définitivement tournée vers la transition écologique.
Maxence Loiseau