Maus d’Art Spiegelman (1981)

Nombreuses sont les œuvres littéraires ou cinématographiques traitant de la seconde guerre mondiale, et plus particulièrement de la Shoah. Si certaines des ces histoires sont inventées (La voleuse de livres, La rafle…) d’autres s’appuient sur des personnes réelles (La liste de Schindler, La valise d’Hana…). Maus est l’une d’entre elles. Bande-dessinée à part, Maus réussi à se démarquer des autres témoignages par sa forme, sa mise en scène, et son humanité. Acclamée par la critique comme des amateurs (Art Spiegelman, l’auteur, remporte le prix Pulitzer spécial en 1992), l’œuvre continue de rester un classique.

L’histoire

Maus se déroule sur deux époques. Dans un premier temps, on découvre la vie d’Art S., l’auteur du livre, dans les années 70. Celui-ci, bien qu’entretenant des relations difficiles avec son père Vladek, tente de se rapprocher de lui pour écouter son témoignage en tant que victime de la Shoah. Le deuxième temps de la bande-dessinée se dévoile donc sous forme de flash-backs, à mesure que Vladek raconte sa vie du milieu des années 30 à la fin de la guerre. De la montée du nazisme jusqu’à la guerre froide, Maus retrace un demi siècle d’Histoire à travers la vie des Spiegelman.

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Extrait de Maus – Et c’est là que mes ennuis ont commencé 

La narration

Maus n’est pas la seule œuvre à utiliser deux époques pour dévoiler son histoire en 2007, Tatiana de Rosnay utilisera le même procédé dans son roman Elle s’appelait Sarah. Cette double narration permet en général de ménager le suspens, mais revêt une autre dimension chez A. Spiegelman. Les personnages de Maus étant réels, alterner les époques permet de mieux les saisir et de les présenter d’une manière plus réaliste. Le héros de l’histoire, Vladek, raconte son passé selon son propre point de vue. Il nous apparaît ainsi comme un jeune homme amoureux et débrouillard – en somme, comme quelqu’un d’attachant. Cependant, les scènes se déroulant dans les années 70 sont présentées sous le point de vue d’Art Spiegelman, qui voit son père sous un œil plus critique : Vladek se révèle raciste (il insulte par exemple un américain noir), très avare et assez misogyne. De ce mélange ressort une grande humanité, où le personnage n’est pas seulement un survivant idéalisé, mais un être humain avec ses qualités et ses défauts.

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Extrait de Maus – Mon père saigne l’histoire

L’alternance de la narration permet également de ménager le lecteur. Les propos de Vladek, sur la réalité des persécutions et du camp, sont très durs. Les retours aux années 70 offrent une pause dans ces atrocités, sans toutefois sortir le lecteur de l’histoire. Cette capacité d’Art Spiegelman à composer avec les émotions de ses lecteurs se retrouve dans sa manière de transmettre visuellement son histoire.

Le zoomorphisme 

Le format choisi par l’auteur est peu courant : le roman graphique. De plus, Art Spiegelman a utilisé dans son œuvre le zoomorphisme, c’est-à-dire le fait de représenter des personnes en animaux. Ainsi, les Juifs sont des souris, les nazis des chats, les polonais des cochons et ainsi de suite. Cette animalisation est au centre de toute l’œuvre et se manifeste dès le titre : Maus en allemand signifie « souris ». Révéler les personnages en animaux met l’accent sur leurs caractéristiques et facilite la compréhension du contexte historique. Il est en effet aisé de comprendre que les chats chassent les souris, ou que les chiens (les américains) chassent les chats…

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Extrait de Maus – Et c’est là que mes ennuis ont commencé

Le style du dessin

Pour ce qui est du dessin lui-même, Art Spiegelman possède un style graphique. Si chaque trait est exécuté avec une grande précision, il n’en ressort pas moins du dessin global une impression floue. Les dessins de l’auteur ne comprennent en effet que peu de détails, celui-ci se concentrant sur l’essentiel. De plus, à l’exception de la couverture, tout l’album est en noir et blanc. Les personnages se fondent alors dans le décor, et en sont moins dissociables que s’ils avaient été en couleurs. Ce choix esthétique est à double tranchant car il accentue également la déshumanisation des personnages, réduits à de simples objets, à un élément gênant dans le décor du parti nazi. La partie dans les années 70 est elle aussi en noir et blanc : si Vladek a survécu à la guerre, il n’en a pas moins été profondément marqué par celle-ci. Cette continuité stylistique permet de comprendre que trente ans ont passé mais que rien n’a été oublié.

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Extrait de Maus – Et c’est là que mes ennuis ont commencé

Cette absence de couleur permet enfin d’atténuer la violence de l’action. Lorsque Vladek témoigne de la vie dans le camp d’Auschwitz, certains passages sont évidemment extrêmement durs. Une scène (voir image ci-dessus) représente ainsi le moment où certains prisonniers avaient pour mission de brûler les cadavres de ceux qui venaient d’être tuer dans les chambres à gaz. Si l’auteur avait employé des couleurs, le rouge du brasier serait ressorti, de même que la forme des corps. Avec le style évoqué plus haut, ces corps sont moins facilement discernables et cette vision d’horreur devient alors plus supportable.

Maus se révèle être un témoignage important sur la Shoah, qui se démarque par une graphie particulière et son usage du zoomorphisme. La narration même employée permet de présenter des personnages plus réels et humains, et d’introduire la question suivante : comment survivre au survivant ?


©Art Spiegelman

Image à la une : couverture intérieure de Maus – un survivant raconte

Vladek Spiegelman meurt 1982. Art a aujourd’hui 70 ans.

Maus est édité chez Flammarion et comprend deux tomes, Mon père saigne l’histoire et Et c’est là que mes ennuis ont commencé. Une édition intégrale les regroupe sous le titre Maus – un survivant raconte.

 

 

 

3 commentaires

  1. Ce livre était vraiment génial! J’en suis ressortie bouleversée, mais surtout alors que je pensais avoir énormément décortiqué ce qu’il se passait en ce temps là avec l’école, les films et les reportages, on apprend encore plus de choses.

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