Les costumes et décors de Peau d’Âne de Jacques Demy

Cet article a été écrit dans le cadre du partenariat de Florilèges avec la plateforme LaCinetek où vous pouvez retrouver la version restaurée du film.

“L’Infante seule était plus belle, et possédait certains tendres appâts, que la défunte n’avait pas.

Le Roi le remarqua lui-même, et brûlant d’un amour extrême, alla follement s’aviser que par cette raison il devait l’épouser […].

Mais la jeune Princesse triste d’ouïr parler d’un tel amour, se lamentait et pleurait nuit et jour »…

Peau d’âne de Charles Perrault, 1694

Catherine Deneuve cachée sous une peau d’âne, Jean Marais en roi incestueux aux collants pailletés, la recette chantée du cake d’amour en robe d’or, les gardes peints en bleu et rouge… il y a probablement parmi elles une scène qui vous aura marqué lors de votre visionnage du Peau d’âne de Jacques Demy.

Adapté seulement pour la seconde fois dans l’Histoire du cinéma, le conte de Perrault devient pour Demy le moyen de réaliser ses rêves d’enfant au travers de costumes et de décors fantaisistes. Partons à leur découverte !

1969, année psychédélique

L’année 1969 marque le retour de Jacques Demy en France. Il vient de présenter son premier et unique film hollywoodien : Model shop. Loin du succès des Parapluies de Cherbourg (1964) ou des Demoiselles de Rochefort (1967), Model shop sort dans une relative discrétion et n’obtient guère le succès escompté.

Mais Jacques Demy a déjà un nouveau projet en tête : adapter Peau d’âne, un conte de fée de Charles Perrault. Cette idée le travaille depuis longtemps. En 1962, il pensait déjà le réaliser avec Brigitte Bardot et Anthony Perkins dans les rôles titres. Depuis l’enfance, il est hanté par ce conte qu’il mettait en scène dans son petit théâtre de marionnettes.

Avec son amie Catherine Deneuve, il tente de convaincre la Columbia de financer Peau d’âne. Les producteurs américains refusent, et le film devra donc se faire avec un budget beaucoup plus serré.

Parmi le casting, on retient néanmoins Catherine Deneuve en princesse, Jean Marais son père de roi, Jacques Perrin en prince et Delphine Seyrig en coquette fée Lilas.

Demy se voit contraint d’abandonner certaines idées folles qu’il avait déjà consignées dans ses carnets de note. L’entrée du prince (Jacques Perrin) en jet-ski laisse place à des montures plus traditionnelles -les chevaux seront tout de même peints en rouge- et Demy revoit à la baisse le nombre de prises de vue très coûteuses. Quelques scènes ont malgré tout réussi à s’échapper de ces restrictions, comme en témoigne l’arrivée excentrique du roi (Jean Marais) et de la fée Lilas (Delphine Seyrig) en hélicoptère à Chambord !

Le roi et la fée Lilas dans Peau d’âne de Jacques Demy, DR

Demy doit également se séparer de son décorateur habituel. On lui présente Jim Leon, un peintre de San Francisco, fortement influencé par la mouvance psychédélique qui règne Outre-Atlantique. C’est une révélation pour Jacques Demy, qui retrouve une esthétique qui l’avait fortement marquée durant son précédent séjour américain.

Peau d’âne (Catherine Deneuve) devant un paravent peint par Jim Leon pour le film.

Dans une ambiance « flower-power », ils imaginent des décors délirants de femmes-statues, de chat-trône, de fresques aux couleurs acidulées qui se mêlent aux architectures de châteaux préexistantes.

Certains décors rappellent également La Belle et la Bête de Jean Cocteau, autre adaptation française de contes de fée à l’atmosphère onirique, où Jean Marais jouait déjà. Le psychédélisme en plus !

Ajouté au travail de Jim Leon, Jacques Demy s’inspire également d’autres artistes contemporains pour les accessoires. Les masques du bal des chats et des oiseaux (réalisés par Hector Pascual) ne sont pas sans rappeler ceux de Leonor Fini, que Demy rencontre en 1969, ou de collages de Jacques Prévert.

Quant aux costumes, Jacques Demy va se tourner vers deux autres artistes…

« On va tout mélanger. On s’en fout, on s’amuse ! »

Jacques Demy fait appel à Agostino Pace (parfois orthographié Augusto), qu’il a connu par l’intermédiaire d’Agnès Varda. Pace travaille alors majoritairement avec des metteurs en scène de théâtre.

Agostino Pace interviewé dans le cadre de l’exposition Le monde enchanté de Jacques Demy à la Cinémathèque en 2013. DR

Dans les années 1960-70, il est fréquent que les décorateurs de théâtre s’occupent des costumes, ce qui augmente significativement leur charge de travail. De surcroît, Pace s’est déjà engagé sur un autre projet. Il se retrouve à devoir dessiner tous les costumes de Peau d’Âne en l’espace de quinze petits jours !

Malgré la somme de travail, Agostino Pace garde un merveilleux souvenir de la collaboration avec Jacques Demy, où il jouissait d’une liberté presque totale. L’idée de faire des costumes aussi colorés ? « Elle est venue comme ça ! ».

L’inspiration principale est le monde de l’enfance. Demy et Pace n’ont jamais eu la volonté de faire de la reconstitution historique. Si certaines scènes se sont déroulées à Chambord, leur travail ne s’est pas basé sur cela. Pace le dira d’ailleurs lui-même : « On va tout mélanger. On s’en fout, on s’amuse ! ».

À force de croquis, Pace et Demy parviennent à se mettre d’accord. Le réalisateur suit chaque étape de création et décide de la version finale. Les dessins terminés, il faut passer à leur réalisation. C’est là qu’entre l’Italienne Gitt Magrini, qui va se charger de donner corps à ces figures de papier.

La seule exception à toute cette enfance féérique est la fameuse peau d’âne. Revêtue par la princesse (Catherine Deneuve) pour tromper les gardes et fuir le château de son père, c’est un élément central des costumes de l’œuvre. A la grande surprise d’Agostino Pace, Jacques Demy est catégorique : il veut une véritable peau d’âne quitte à devoir aller la chercher en personne à l’abattoir.

Ce brusque retour à la réalité ne surprend qu’à moitié car la cruauté est inhérente au conte d’origine. Peau d’Âne, avec son père incestueux qui veut épouser sa fille par tous les moyens et tente de la séduire par de multiples cadeaux, n’est-il pas un des récits les plus terrifiants de Perrault ?

« C’est un conte pervers […] et c’est pourquoi le sujet est formidablement intéressant ! »

Jacques Demy interviewé par Anne Andreu le 27 décembre 1972

Catherine Deneuve se rappellera des années plus tard que c’était le costume le plus lourd de tout le film, davantage encore que ses trois emblématiques robes !

Les trois robes disparues

Face à l’horrible demande en mariage de son père, Peau d’Âne est conseillée par sa fée marraine. Elle ne pourra accepter sa proposition qu’à une seule condition : que le roi lui offre trois robes couleur de la lune, du soleil et du temps, soit autant de cadeaux impossibles à réaliser.

Contre toute attente, le roi s’exécute et parvient à les réaliser toutes les trois. Émerveillée et terrifiée par leur beauté, Peau d’Âne comprend que son père n’abandonnera jamais et qu’il lui faut désormais fuir.

À cause d’une mauvaise conservation, les robes ont depuis entièrement disparu. Mais la rétrospective Jacques Demy à la Cinémathèque de Paris en 2013, a permis à sa fille Rosalie Varda-Demy et Agostino Pace de reproduire à l’identique ces costumes emblématiques de Peau d’Âne.

Vue de l’exposition Le monde enchanté de Jacques Demy à la Cinémathèque en 2013, Crédits : 20 Minutes

La robe couleur de lune

« Couleur de lune ? Oui mon père, c’est-à-dire qui soit plus brillante et moins commune« . Deuxième des robes demandées par la princesse comme cadeau nuptial, la robe couleur de lune est incrustée de très nombreuses pierreries. Gitt Magrini les avait fait réaliser dans deux ateliers, dont l’un appartenait à une ancienne des Ballets russes.

Avec sa multitude de points qui évoquent l’astre rond, elle est très fidèle au croquis imaginé par Pace et Demy. Sa magnificence annonce déjà la robe qui suivra : la couleur soleil.

La robe couleur du soleil

Dernière robe offerte par le roi, la plus éblouissante et la plus riche, c’est aussi celle que la princesse choisit d’emmener dans sa fuite.

Vous la reconnaissez forcément, puisque c’est elle que l’on retrouve dans la fameuse chanson du cake d’amour !

C’est également par cette robe que vient le dénouement : laissant tomber sa peau d’âne, la robe couleur soleil apparaît et révèle la véritable identité de la princesse.

La robe couleur du temps

Pour autant, s’il ne fallait n’en retenir qu’une, c’est probablement la robe couleur du temps que l’on choisirait. Première des robes offertes par le roi, ce n’est pas la plus somptueuse mais la plus ingénieusement construite. Coupée dans de la toile de cinéma, du « scotchlight », elle projette littéralement des pans de nuage.

Au moment de tourner la scène, Demy avait fait installer un vidéo-projecteur qui diffusait un film de 16mm montrant un ciel nuageux, pour créer l’illusion d’un motif en mouvement.

Cette « pure matérialisation du cinéma », pour reprendre l’expression de Camille Taboulay, n’illustre-t-elle pas à merveille toute la magie de ce film ?

Jacques Demy avec la baguette de la fée Lilas et Delphine Seyrig sur le tournage de Peau d’âne, crédits : Michel Lavoix, 1970, Ciné-tamaris

Sources

Peau d’Âne de Jacques Demy, 1970, 1h25, sur la plateforme LaCinétek (version restaurée en 2012)

Jean Marais et Catherine Deneuve tournent « Peau d’âne » de Jacques Demy, 19 juin 1970

Interview de Catherine Deneuve et Jacques Demy à propos de Peau d’âne par Anne Andreu, 27 décembre 1972

Interview d’Agostino Pace lors de l’exposition Le monde enchanté de Jacques Demy à la Cinémathèque en 2013

Recréer les robes de Peau d’Âne avec Rosalie Varda, Agostino Pace et Matthieu Orléan lors de l’exposition Le monde enchanté de Jacques Demy à la Cinémathèque en 2013

Bibliographie

Le monde enchanté de Jacques Demy (exposition, Paris, Cinémathèque – Musée du cinéma, 10 avril – 4 août 2013), Paris : La Cinémathèque française, 2013

Jean-Paul Sermain, « Robes classiques et robes symbolistes, de Peau d’Âne aux avatars de Barbe bleue », In : Fééries, 2018

Camille Taboulay, Le cinéma enchanté de Jacques Demy, Paris : Cahiers du cinéma, 1996

Rosalie Varda-Demy et Emmanuel Pierrat, Il était une fois Peau d’âne, Paris : La Martinière, 2020 (que je vous recommande particulièrement !)

1 commentaire

  1. Article très intéressant. Cependant, je ne savais pas que la robe couleur de soleil n’avait pas été préservée. Je me rappelle parfaitement avoir vu cette robe couleur de soleil dans une vente de costumes de cinéma à Angers, dans le Maine-et-Loire quand j’ètais enfant avec ma mère. Je me rappelle aussi avoir vu la version violette de la fée également dans cette vente. J’avais à l’époque peut-être entre 8 et 10 ans et ma mère avait décidé d’aller à cette vente organisée pour un seul jour. Je me souviens que c’était dans une espèce d’entrepôt (et non un magasin conventionnel) où il y avait une multitude de costumes de cinéma en vrac. Je connaissait déjà le film et j’ai tout de suite reconnu la robe de Catherine Deneuve. Je me rappelle avoir vraiment été étonné de voir cette robe absolument magnifique et magique placée en vrac sur le dessus d’un amoncellement d’autres robes. Elle était un peu abimée (un des éléments brodés d’une des manches pendait, décousu). Cependant, en y repensant, je pense que des retouches étaient sans doute très facile à faire. Et je suis sur qu’un particulier l’a achetée. J’ai maintenant 51 ans et vis à Toronto au Canada. Ce souvenir date 1978 ou du moins vers ces années-là.

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