L’enfance à la fin du XIXe siècle : modes et représentations dans les arts

Le XIXe siècle a connu un véritable tournant dans l’évolution de la considération de l’enfance. Depuis l’époque des Lumières, et notamment l’Emile de Rousseau, paru en 1762, un sentiment de l’enfance est apparu, et celle-ci est perçue de plus en plus comme un âge à part entière : l’enfant est reconnu comme ayant une sensibilité et une intelligence propre, et l’on constate donc qu’il fait l’objet d’une attention croissante, notamment pour ce qui concerne sa place dans le domaine public. Malgré les efforts et les nombreuses lois votées tentant d’instaurer une protection de l’enfance, la condition enfantine demeure malgré tout très inégale selon les classes sociales.

L’éducation

Au cours du siècle, l’enfant est perçu de plus en plus comme le représentant du futur de la Nation, non seulement de sa force productive, démographique, mais aussi militaire, c’est pourquoi l’éducation est vue comme nécessaire : il s’agit de former de bons citoyens. La série des lois Ferry, votées en 1881 et 1882, rend l’enseignement primaire public, gratuit, obligatoire et laïque dans les établissements publics. Les enfants de la fin du XIXe siècle ont donc accès à l’alphabétisation et à l’éducation. Il s’agit pour les écoles publiques de permettre aux enfants d’obtenir leur certificat d’études primaires à l’âge de onze ans. Pour la majeure partie des enfants du peuple, ce certificat marque la fin de la scolarité tout court.

Les enfants de bourgeois ou d’aristocrates ne vont pas à l’école publique, mais ont des cours privés donnés par un précepteur pour les garçons, une gouvernante ou institutrice pour les filles. En plus des leçons de lecture, de calcul, d’histoire ou encore de géographie, on apprend aux enfants les bonnes manières et le maintien, essentiels à la distinction, valeur si chère aux grands bourgeois et aristocrates. Pour les petites filles des classes les plus aisées, ces enseignements sont complétés de cours de musique, de peinture, de dessin ou de broderie. Quant aux filles issues de la petite bourgeoisie, l’enseignement des travaux ménagers et de la tenue du foyer est particulièrement mis en avant, puisqu’elles sont avant tout destinées à devenir de parfaites mères et épouses.

Ainsi, les jeunes filles ne reçoivent généralement pas d’enseignement secondaire, malgré la loi Camille Sée de 1880, qui permet l’ouverture de lycées pour filles. Néanmoins, elles ne peuvent pas passer le baccalauréat : il faudra attendre 1924. Dans les sphères bourgeoises et aristocrates, les petits garçons poursuivent quant à eux leurs études au lycée, et parfois à l’université.

Petites filles modèles et petits lords : l’enfant des classes bourgeoises et aristocrates

La famille étant l’un des piliers de la morale bourgeoise de la société du XIXe siècle, on note une très grande mise en avant de l’enfant comme gage de la respectabilité familiale. De plus en plus, il convient aux dames d’élever elles-mêmes leurs enfants, avec l’aide d’une bonne (souvent venue de province) ou d’une nurse anglaise pour les familles les plus aisées. L’enfant est au centre de toutes les attentions, et les marques d’affection sont de plus en plus démontrées entre parents et enfants, comme nous le montrent l’augmentation de portraits de famille.

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Portrait de Marguerite et Robert de Broglie, Carolus Duran, 1890. Musée Carnavalet.

La mode enfantine des classes aisées nous montrent qu’il y a une véritable recherche d’individualisation de l’enfant par le vêtement. Sous l’Ancien Régime, et durant la majorité du XIXe siècle, les enfants étaient habillés comme des adultes miniatures, avec cependant des jupes plus courtes pour les filles, et l’usage pour les garçons de porter la robe jusqu’à l’âge de 8 ans, qui se poursuivra jusqu’au début du XXe siècle. Sur ce portrait par Carolus Duran, l’enfant à droite portant une jupe est bien un petit garçon.

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Printemps, Margot au jardin, Mary Cassatt, 1900. MET.

En ce qui concerne les petites filles, on note une influence importante est la robe américaine, qui s’inspire du mouvement aesthetic anglais, elle cintre moins la taille, très fluide, en trapèze avec un empiècement qui couvre la gorge, comme on peut le voir sur ce portrait de Margot au jardin, par Mary Cassatt. Souvent, les petites filles modèles des familles bourgeoises ont un tablier caractéristique de la mode enfantine, qui est vu comme comme un symbole de la propreté et de la respectabilité bourgeoise, mais surtout qu’on peut faire bouillir, ce qui est plus simple à entretenir.

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Les filles d’Edward Darley Boit, John Singer Sargent. 1882. Musée des Beaux Arts de Boton.
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Portrait de James Rapelje Howell, William Merritt Chase, 1886. Coll. privée.

Pour les petits garçons, on peut évoquer le costume à la Petit Lord, qui a pour origine le grand succès du roman Le petit Lord Fontleroy de Frances Hodgson Burnett. Il se caractérise par de grands revers et d’un collet en dentelle. On note aussi un grand succès des uniformes, et notamment le costume marin, à l’origine popularisé par Edward, le prince de Galles, fils de la reine Victoria. En 1846, sur le yacht royal il porte un costume fabriqué par le tailleur de l’équipage. Un portrait du prince par Winterhalter, réalisé la même année, fige pour la postérité ce costume, qui connaîtra un grand succès auprès des têtes couronnées puis se propagera aux aristocrates, bourgeois et même petits bourgeois.

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Portrait du Prince de Galles, Winterhalter, 1846.

L’enfant des classes populaires

A ces enfants choyés et privilégiés, minoritaires, s’opposent les enfants des classes populaires, en bien plus grand nombre. Ils constituent une grande réserve de main d’œuvre à la campagne, où ils aident dès le plus jeune âge aux travaux agricoles, aussi bien qu’à la ville, où ils sont employés dans les usines dès l’âge de 8 ans, voire moins. Ils sont appréciés pour leur agilité et leur souplesse. Ils sont par exemple souvent utilisés dans les filatures pour nettoyer les bobines et ramasser les déchets sous les machines, ce qui entraîne beaucoup d’accidents. Ils sont souvent maltraités et leurs salaires sont en moyenne quatre fois inférieurs à ceux des adultes, bien que leur temps de travail soit le même. Malgré tout, cet apport pécuniaire constitue une manne financière pour les familles qui peinent à subsister, surtout lorsqu’elles sont nombreuses.

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Un meeting, Marie Bashkirtseff, 1884. Musée d’Orsay.

Pour ce qui est du vêtement, les enfants ouvriers ou paysans de la fin du XIXe siècle n’ont pas de mode qui leur est propre, ils portent souvent une version plus courte des vêtements de leurs parents, un pantalon et une chemise pour les garçons, une jupe et un chemisier pour les filles. Les petits enfants portent des blouses, notamment à partir de 1880 et des lois de Ferry, comme on peut le remarquer sur ce tableau de Marie Bashkirtseff. Elles cachent les disparités de toilette et protègent le vêtement. Elles ne sont pas blanches, ce qui demanderait beaucoup d’entretien, mais teintes en bleu, à l’indigo, teinture la moins chère qui dissimule mieux les tâches d’encre.

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