La fleur de lys : une symbolique en perpétuelle mutation (3/3)

Cet article est le troisième volet d’une série consacrée à la fleur de lys. Retrouvez ici la première partie et ici la deuxième partie.

Une utilisation contemporaine

Des organisations politiques nostalgiques

La fleur de lys fait l’objet d’une appropriation très fortes par les mouvements nationalistes. Parmi ces organisations nous citerons Renouveau Français et Action Française, qui sont toujours actives en France.
Renouveau français est une organisation nationaliste fondée en 2005 dont le président actuel est Thibaut de Chassey. Elle utilise la fleur de lys à six branches dans une forme ultra-stylisée. Elle a comme mot d’ordre « Défends la France, ton héritage, ton avenir, Rejoins le combat nationaliste ! » accompagnée d’une fleur de lys très stylisée à six branches. Selon eux la fleur de lys reste :

« le meilleure symbole de la tradition française, elle est l’emblème de notre nation depuis le fond des âges »

Le « fond des âges » semble donc être pour eux l’époque médiévale. Leur idéologie est profondément contre-révolutionnaire et catholique, défendant le droit du sang contre celui du sol. Ils refusent les nouveaux systèmes capitalistes ou les systèmes alternatifs à celui-ci regrettant une perte de souveraineté et une disparition de leur « identité ». La décadence morale est pour eux un mal dont le système royaliste ne saurait être à l’origine. Ils fonctionnent avec un comité directeur composé uniquement d’hommes et étaient très actifs lors des manifestations d’extrême-droite contre le mariage pour tous, qu’ils assimilent au « lobby gay » au « lobby pédophile ». Ce groupe royaliste recrute leurs membres lors de conférences et de semaines de formation aux programmations obscures, entre discours, enseignements au tir et au combat. Le blog du Monde Droite(s) extrême(s) qualifie ce mouvement de « groupuscule nationaliste, intégriste, antisémite et pétainiste ».

Leurs militants portent un écusson de la manière la plus visible possible au signe de la fleur de lys d’or.

L’Action française est davantage investie pour le retour au pouvoir royal. Cette organisation est fondée sur la base de positions anti-dreyfusardes au printemps 1898 par Maurice Pujo et Henri Vaugeois. Proclamés à leurs débuts comme républicains et athées, ils deviennent vite monarchistes par la publication de Enquête sur la Monarchie de Charles Maurras1. Revendiquant une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée, ils ont participé au « réveil national » dont le but était d’alerter la population contre la menace allemande. Ils y ont perdu quelques centaines de militants au combat. Ils ont essuyé des pertes lors de la condamnation de leur mouvement par le pape Pie XI en 1926 et une dizaine d’années après par le fils du prétendant orléaniste au trône de France. L’Action français participera aussi à la crise du 6 février 1934 où des militants d’extrême-droite ont manifesté en solidarité avec un préfet de police : ce rassemblement a tourné à l’émeute et fit quatorze morts du côté de l’extrême-droite ainsi que plus de deux milles blessés.
Après la défaite de 1940, l’Action française s’est ralliée rapidement à Pétain, applaudissant la politique du régime de Vichy. Certains de leurs militants ont adopté une attitude pro-nazi et collaborationniste, mal vue par la direction qui invoquera le slogan « La France seule ».
Maurras et Pujo ont été condamnés pour « intelligence avec l’ennemi » et ont fini leur vie emprisonnés.
Leur slogan est « Nationalisme intégral, royalisme social », héritage encore vif de Charles Maurras.

Les deux organisations ont fait le choix de modifier la fleur de lys traditionnelle, et c’est certainement une simple affaire de communication. L’Action Française, qui est une vieille organisation, tente de se faire une image plus jeune pour recruter la jeunesse royaliste. Mais prônant toutes deux des idées réactionnaires et arriérées, ces deux organisations politiques sont en perte de vitesse et ne sont plus que des groupuscules et des cercles affinitaires.

Une réappropriation dans le milieu du tatouage

La fleur de lys connaît un renouveau dans le tatouage également, mais si cette réappropriation peut sembler impromptue nous devons nous rappeler que bien avant notre époque des femmes et des hommes étaient marquées au fer rouge de ce symbole.

Le terme « infâmie » vient du latin infamia qui signifie « mauvaise renommée », « déshonneur », « honte » ; il est utilisé principalement pour parler de la flétrissure, marquage au fer rouge en place publique. Elle est là pour stigmatiser le corps de celui qui est signalé à l’opprobre publique. Cette peine devait être permanente et visible (sur l’épaule généralement), deux choses essentielles pour rendre effective cette stigmatisation qui était alors recherchée par les autorités. En France, avant 1724, cette marque prenait la forme d’une fleur de lys, pour être remplacée par une lettre expliquant la peine (V pour voleur, F pour faussaire, etc). De même, dès 1685, le Code noir impose une fleur de lys sur la peau des fugitifs esclaves dans les colonies.

On peut prendre l’exemple de la prostitution qui, malheureusement, illustre bien la chose. Profession tantôt légale, tantôt tolérée, puis réprouvée et réprimée, ces femmes étaient poursuivies pour « crime de putanisme ». Leur peine était de porter une pièce de vêtement rayé jaune et rouge sur leur robe ; la rayure étant alors insultante, dédiée aux métiers considérés comme infamants et associée à la flétrissure. À partir de 1485, elles ont le nez coupé, sont marquées d’un « P » sur le front, le bras ou la fesse. Leurs maquerelles étaient condamnées au même supplice et un « M » accompagné d’une fleur de lys.

Au XXIe siècle, le tatouage est (presque) rentré dans les mœurs et il a une capacité à visibiliser des motifs que l’on pensait oubliés. La fleur de lys en est un exemple fameux puisqu’elle est à l’origine infamante dans sa qualité de marque corporelle, mais se retrouve sublimée par le tatouage. Si certains la choisissent pour son rattachement à la monarchie, d’autres le font par goût esthétique. Pour plusieurs des motifs que l’on peut rencontrer, sa composition se base sur le motif royal original [comme sur les exemples 1 et 5] et peut être stylisée [comme les exemples 2, 3 et 4]. Le tatouage est utilisé depuis son apparition comme un signe d’identité, de revendication, ou encore symbole d’un passage à un autre statut. On peut se demander ce que cherchent les personnes tatouées d’une fleur de lys, outre les nostalgiques d’une époque passée. On peut insister sur l’exemple 1 qui présente une fleur de lys classique placée sur l’épaule : est-ce que la personne qui la porte est au courant de cette symbolique particulière ? L’a-t-elle fait en connaissance de cause ? Même si la fleur de lys n’est pas (encore?) la victime des effets de mode, on peut penser qu’elle en fera peut-être partie dans le futur, et on se demandera alors comment assumer de porter à vie sur notre peau le symbole d’une période politique trouble, particulièrement grégaire et cruelle, voir d’une marque infamante réservée jadis aux prostituées, voleurs, faussaires, et mendiants.

La fleur de lys est un symbole depuis son origine manipulée par les autorités pour créer une unité du pouvoir français dans la propagande visuelle et elle sert plus tard comme l’image d’une peine infamante. Ce qui peut paraître comme un paradoxe reste dans la logique initiée par Michel Pastoureau sur le double sens des couleurs, à la fois positif et négatif. Ce symbole est alors aussi doté d’un double symbole : celui du pouvoir et celui du crime. C’est en outre une marque de possession du pouvoir royal, comme si les condamnés étaient de fait propriété des autorités, et donc relégués à être moins qu’une personne puisque possédé par autrui. De cette ambivalence on retient une opération propagandiste réussie pour l’Église qui voulait faire disparaître les symboles païens des habitudes du pouvoir en place. Cette entreprise, nous la devons à Suger de Saint-Denis, qui, avec l’aide de Louis VI et de Louis VII a fait rentrer ce symbole dans l’imagerie collective. En effet, aujourd’hui, tout le monde connaît la fleur de lys et son rattachement au pouvoir royal.

Ce qui était avant utilisé pour stigmatiser une partie de la population sera-t-elle demain utilisée pour en mettre en valeur une autre ? Peut-on omettre les bagages historiques d’un motif pour lui recréer une symbolique ou pour qu’il devienne consensuel ? C’est par ces questions, notamment, que nous pourrons envisager le futur de la fleur de lys dans le paysage iconographique contemporain.

Bibliographie indicative :
J. CHEVALIER & A. GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles, Édition Robert Laffont / Jupiter, 1982, Paris
F. DUPRAT, Les mouvements d’extrême droite en France depuis 1944, Édition Albatros, 1972, Paris
L. IMPELLUSO, La Nature et ses symboles, Édition Hazan, 2003, Paris (traduit de l’italien par D. Férault)D. LE BRETON, Signes d’identité : tatouages, piercings et autres marques corporelles, Édition Métailié, 2002, Paris
A. LOMBARD-JOURDAN, Fleur de lis et oriflamme : signes célestes du royaume de France, Édition Presses du CNRS, 1991, Paris
C. MOREL, Dictionnaire des symboles, mythes et croyances, Édition l’Archipel, 2005, Paris
M. PORRET, Le corps violenté, du geste à la parole, Édition Droz, 1998, Paris
P. RAPELLI, Symbole du pouvoir, Édition Hazan, 2004, Paris (traduit de l’italien par C. Gamier)

Article rédigé par Marion Cazaux (@mhkzo | mhkzo.com)

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