
Le 28 janvier se tenait, dans l’un des salons de l’hôtel Le Marois, à l’initiative du cercle France-Amériques, une conférence organisée par Pauline Bord, docteure en Histoire de l’Université de Lille, et créatrice de la société Histoire Retrouvée. Celle-ci proposait un regard croisé entre les modes vestimentaires, française et américaine, leurs confrontations et leurs influences mutuelles à la fin du XVIIIe siècle. La présentation comportait également un défilé de reconstitueurs vêtus de costumes reproduisant ce de l’époque.
Se vêtir au XVIIIe siècle en France

Sous l’Ancien Régime, en France, le vêtement permet de tenir son rang. A la cour de Versailles, il existe, pour chaque sexe, un costume bien défini. Le costume masculin du XVIIIe siècle est un héritage de l’époque de Louis XIV : une chemise, une veste (qui prendra le nom de gilet au XVIIIe siècle), un justaucorps (qu’on nommera par la suite veste) et une culotte.
Pour le femmes, l’héritage est plutôt celui du règne de Louis XV, avec la robe à la française : portée sur une chemise, un corps baleiné, un panier et un jupon, celle-ci est composée d’une jupe et d’un manteau de robe, fermé par des agrafes ou une pièce d’estomac. Le manteau de robe à la française se caractérise par d’amples plis dans le dos, qui seront nommés a posteriori « plis Watteau ». Pour les grandes occasions, tels que les mariages, couronnements ou présentations officielles, les femmes portent le Grand Habit de cour, hérité du règne de Louis XIV. Il est composé d’un jupon porté sur un grand panier, d’un corps baleiné intégré au vêtement, très rigide, prolongé de manchettes de dentelle ou de linge blanc appelées des « petits bonshommes », et d’un bas de robe, prolongé d’une traîne, appelée queue.

A la fin du XVIIIe siècle, sous le règne de Louis XVI et de Marie-Antoinette, on note différents changements concernant les modes, aussi bien féminine que masculine. On observe une plus grande acceptation des modes qui auraient autrefois été réservées aux circonstances moins officielles. Cela stimule l’épanouissement de styles nouveaux. Les modes se succèdent de manière de plus en plus rapide. Cela est notamment dû à l’apparition d’une presse de mode.

Ces changements se reflètent notamment dans les couleurs à la mode : on voit apparaître de nouvelles nuances, souvent nommées de manière assez imaginative : « caca-dauphin », « cuisse de nymphe émue » ou encore « puce ». La mode n’hésite pas non plus à s’inspirer des costumes de pays plus ou moins lointains. Ainsi, la fin du XVIIIe siècle voit l’épanouissement de l’orientalisme, au sens large : l’empire Ottoman, la Chine, mais aussi la Pologne seront considérés comme des contrées « orientales ». La robe à la polonaise, dont la robe se remonte grâce à des systèmes de coulisses pour former 3 pans drapés à l’arrière, naît à cette époque. Plus courte que la robe à la française, elle dévoile les chevilles : elle est donc plus commode pour se déplacer, ce qui peut être lié à la popularité croissante de la marche, prônée par des médecins comme le Dr Trochin.
Le dernier quart du XVIIIe siècle voit se développer une certaine anglomanie au sein des classes supérieures françaises. Cela se traduit chez les femmes par des robes à l’anglaise, composées d’une robe au corsage généralement fermé, ouverte sur le devant sur un jupon, et au dos ajusté. Les robes à l’anglaise sont des modes plus informelles, qui peuvent être portées tout aussi bien à la cour qu’à la ville, par des bourgeoises comme des aristocrates. Pour les hommes, l’anglomanie sera encore plus visible, à travers le frac, veste coupée généralement dans des étoffes simples, de couleur sobre. C’est une pièce essentielle de la tenue du « gentleman farmer » anglais durant tout le XVIIIe siècle, qui séduit par sa simplicité et sa commodité. Il en sera de même pour la redingote (riding-coat en anglais), qui sera tout aussi bien portée par les hommes que les femmes.

A la découverte des Etats-Unis : les spécificités de la mode américaine

La coupe des vêtements n’est pas vraiment différente de la nôtre, mais on note une volonté de porter des tenues plus pratiques et informelles, qui s’éloignent de la logique de paraître des sociétés de cour. Pour les femmes, on retrouve en majorité des robes à l’anglaise portées avec un jupon matelassé. Celui-ci est porté par toutes les classes sociales, aussi bien sur le vieux continent que le nouveau, surtout en hiver. Mais la spécificité de la mode féminine américaine est qu’il est porté de manière apparente, alors qu’en Europe on le porte sous les couches de vêtements.
Les Américains ne sont pas, malgré l’éloignement géographique, dans une logique de rejet des modes du vieux continent. Au contraire, on note un fort intérêt pour les modes britanniques et françaises, et les classes les plus huppées cherchent à importer des modèles, grâce à la presse, mais aussi aux poupées de mode. Celles-ci permettent de diffuser, en miniature, les dernières trouvailles en matière de mode. En 1791, on trouve même une poupée de Paris en Amérique, comme en témoigne un texte attribué à William Livingstone, premier gouverneur du New Jersey. Celui-ci, face aux modes parisiennes, regrette les vêtements confortables qu’il portait dans le comté de Bergen. Il évoque alors « la poupée complètement accoutrée pour montrer la nouvelle mode », envoyée de Paris à Londres, puis de Londres en Amérique, comme étant responsable de ces bouleversements vestimentaires.
Cependant, la distance géographique qui sépare les deux continents empêche une diffusion instantanée des tendances : lorsque les nouvelles modes atteignent les côtes américaines, elles sont bien souvent déjà dépassées en Grande-Bretagne. Il apparaît donc, au cours des décennies qui suivront, un décalage temporel. Une autre spécificité des colonies américaines est l’accès à des matériaux que les européens n’utilisaient pas, comme le calicot, une toile de coton souvent teinte de couleur vive, si populaire qu’elle avait été interdite au Parlement britannique entre 1700 et 1774 pour ne pas concurrencer l’industrie de la laine.

Certaines personnalités américaines se rendront sur le sol européen, et marqueront par leur style, comme Benjamin Franklin, reçu en 1776 en France : il débarque avec ses lunettes, son bonnet de fourrure, sans épée ni perruque poudrée. Cette simplicité américaine sera parfois moquée, les américaines étant décrites comme manquant de grâce et de féminité, et les américains comme ayant un côté frustre. La critique va dans les deux sens, puisque nombreuses sont les caricatures américaines se moquant des modes françaises, comme cette gravure représentant l’évacuation de Boston, moquant les coiffures françaises. Le français passe généralement pour vaniteux et coquet.

Les modes inspirées de la guerre d’indépendance américaine
Enfin, il s’agit de souligner à quel point les élégantes françaises de la fin du XVIIIe siècle, friandes d’anecdotes pour créer des modes nouvelles, n’ont pas hésité à piocher dans l’actualité. La France s’étant impliquée dans la guerre d’indépendance américaine, les inspirations ne manquent pas. C’est ainsi que naît la coiffure dite à la Belle Poule, célébrant la victoire de cette frégate contre le HMS Arethusa en 1778, ce qui déclenche l’entrée de la France dans la guerre d’indépendance. Cette bataille marque les esprits, ce qui fera apparaître cette célèbre coiffure, qui fait trôner, sur une chevelure relevée en hauteur, une frégate miniature. La vogue est certaine, et on conserve des témoignages de coiffeurs qui se sont rendus dans des chantiers navals pour s’inspirer. Pour les hommes, on voit l’apparition du chapeau à la quaker.

En ce qui concerne les vêtements, la robe à l’Insurgente, créée lors de la guerre d’indépendance, est en fait un mélange de robe à l’anglaise, de lévite, portée sur un panier ou un faux cul. En définitive, on ne s’inspire pas directement de formes typiquement américaines, mais on va plutôt piocher au gré de l’actualité des noms pour les nouvelles tendances.

Les influences sont donc mutuelles, et le dialogue entre France et Etats-Unis est réel, à la fin du XVIIIe siècle. La proximité des deux nations, renforcée par la participation de la France à la guerre d’indépendance, facilite les échanges, comme en témoignent les voyages d’américains, comme Benjamin Franklin, sur le sol français, ou du marquis de Lafayette sur le sol américain. Cela n’empêche pas une certaine moquerie dans les deux sens : les Américains reprochant la vanité française, et les Français caricaturant la simplicité américaine.

Un grand merci à :
- Pauline Bord pour son accord pour la diffusion de ce compte-rendu
- Aux reconstitueurs et à la société L’Histoire Retrouvée : https://lhistoireretrouvee.com
- A Angeline Mattiocco pour les photos
Merci pour cette article très complet !
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