
En place jusqu’au 24 août, cette exposition transversale permet un voyage dans l’empire chinois de plus de 2000 ans, avec des objets de toutes sortes : peintures, porcelaines, bronzes… Une exposition d’autant plus exceptionnelle qu’elle est composée à 90% d’objets du musée de Shanghai, qui viennent en France pour la première fois !
La scénographie suit un plan chronologique. On débute dans les premiers temps de l’empire, et on achève le voyage aux portes de la République, au XXe siècle. Mais tout d’abord, l‘exposition commence avec une introduction aux matières : les différentes essences employées sont toutes disposées dans une vitrine. C’est un bon moyen de familiariser les visiteurs aux composantes du parfum chinois. Parmi ces essences, il y en a des connues, comme le patchouli et d’autres moins traditionnelles en Europe, comme le bois d’aigle, ou bois d’aloès, senteur très prisée en Chine.
Elaboration de l’art du parfum des Han aux Tang…
Les commissaires d’exposition, Eric Lefebvre et Li Zhongmou, ont choisi de faire débuter cette histoire du parfum à la dynastie Han, soit de 206 av. J.-C. à 221 ap. J.-C. Mais l’existence du parfum en Chine est attestée de manière bien plus ancienne ! Dès la dynastie Shang (1550-1050 av. J.-C.), des sources textuelles révèlent que certains plats étaient choisis pour leurs odeurs. On sait même que certains plats correspondaient plus à une odeur dite « féminine » et d’autres à une odeur dite « masculine », ces deux odeurs devant bien sûr former un équilibre qui préfigure le Yin et le Yang.
L’exposition débute donc avec ce que l’on détermine être les premiers brûle-parfums. La forme de ceux-ci s’inspire en fait des coupes à boire de l’époque, auxquelles a été rajouté un couvercle. Petit à petit, ce couvercle prend une forme tronconique, qui imite la forme d’une montagne, et plus précisément, la montagne qui constitue le paradis des immortels dans la mythologie taoïste. Les lumières s’échappant du brûle-parfum au couvercle ajouré, animent l’objet. Dès lors, on peut voir que l’usage du parfum est profondément lié aux croyances.
Ce lien continue à se renforcer avec l’arrivée du bouddhisme en Chine. Ainsi, lorsqu’on représente le Bouddha historique, un brûle-parfum, ou Boshanlu est souvent représenté à ses pieds. De plus, la conception du parfum bouddhique change son utilisation en Chine. Avant, le parfum était essentiel dans la dimension rituelle, mais considéré comme une faiblesse dans un cadre privé. Grâce au Bouddhisme, on a des traces d’offrandes privées. L’un des exemples les plus connus étant les briques estampées de Longmen, un site bouddhique, représentant l’empereur et l’impératrice douairière en train de faire des offrandes privées.
La particularité de l’exposition est qu’elle présente des bornes olfactives qui permettent de saisir pleinement l’art du parfum en Chine. En effet, François Demachy, parfumeur-créateur chez Dior, et Frédéric Obringer du CNRS ont travaillé ensemble à la restitution des parfums selon les recettes traditionnelles. Par exemple, dans l’une des salles, c’est une recette de parfum des Six Dynasties (222-589) que l’on peut apprécier.
Rattachement à la culture lettrée sous les Song et Yuan…
Dans la Chine Ancienne, le parfum servait aussi à mesurer le temps : un bâton d’encens ou une galette de parfum mettait un certain temps à se consommer, ce qui permettait de connaître le temps passé. Cet usage permet de comprendre pourquoi le parfum s’est autant répandu dans les différentes classes de la société chinoise. Mais s’il y a bien une classe qui s’est emparée du parfum, c’est celle des lettrés, ou mandarins, élite intellectuelle qui entoure le plus souvent l’empereur.
Sous l’influence de ceux-ci, l’art du parfum est remodelé. Ils y consacrent trois objets par excellence : la boîte à parfums, le brûle-parfum et le vase à outils. Certains lettrés créaient même leurs propres parfums ! Leur matière préférée était le bois d’aigle, ou chenxiang. Il s’agit en fait d’un bois issu d’une attaque fongique auquel on rajoute des senteurs florales avec une technique proche de la distillation actuelle. La valeur du texte étant très importante en Chine, on édite même des traités uniquement consacrés aux parfums.
Sur une peinture exceptionnelle représentant le peintre Nizan, on peut observer celui-ci, assis sur un lit haut, en face d’une table. Il est représenté avec les quatre objets du lettrés, ainsi qu’un brûle parfum et une boîte à encens, ce qui montre l’importance de l’objet en soi. Sur une seconde peinture, un éventail en soie, on peut aussi retrouver une scène de consommation de l’encens.
En parlant de l’objet en soi, à cette époque, la forme devient de plus en plus simple et épurée, tout en s’inspirant des formes antiques, comme on peut le voir sur ce brûle-parfum à couverte verte.
Les Ming, apogée artistique
Sous la dynastie Ming (1368-1644), l’art du parfum atteint sa complexité maximale avec trois dimensions : la dimension privée de l’activité lettrée, la dimension rituelle et la dimension cosmétique. La scénographie essaie de répondre à ces différents usages avec trois petites salles. L’ensemble est censé proposer une déambulation assez semblable à celle que l’on pouvait connaître dans une maison traditionnelle de la dynastie Ming.
On débute le parcours dans le studio du lettré, immédiatement confronté dans cette salle aux peintures des Dix-huit lettrés. Il s’agit d’une série de quatre rouleaux verticaux – dont deux présents dans l’exposition – qui présentent les quatre activités du lettré : la calligraphie, la musique, l’écriture et le jeu de plateau. Mais le détail le plus important, c’est la présence sur chacune de ces peintures d’une table haute au centre de la composition avec les trois outils du parfum. Cela montre à quel point la culture du parfum a imprégné les classes sociales les plus hautes. Dans cette même salle sont aussi exposées des vaisselles pour le parfum, et l’on peut d’ores et déjà remarquer que le style est très différent d’une pièce à l’autre. Chacun de ces styles est associé à un atelier, certaines formes étaient d’ailleurs considérées comme plus élégantes que d’autres.
La seconde salle de l’exposition se consacre aux dévotions, qu’elles soient taoïstes ou bouddhistes. On y admire donc de sublimes peintures religieuses chinoises mais aussi de minuscules pièces d’autel pour les dévotions privées. Parmi ces pièces, on retrouve souvent un brûle-parfum. Ces petits objets ont été parfois retrouvés en contexte archéologique ; ils étaient placés dans la tombe pour créer un lien entre le monde mythique et le monde des vivants.
Enfin, la dernière salle consacrée à la dynastie Ming explore la dimension plus utilitaire du parfum, parce que oui, on pourrait l’oublier avec toutes ces grandes considérations intellectuelles, mais le parfum répond d’abord à une exigence cosmétique : sentir bon. C’était d’ailleurs une des préoccupations principales des Chinois, qui ne voyaient absolument aucun souci à tout parfumer. On peut donc admirer dans les vitrines un brûle-parfum uniquement pour les coiffes, des bourses à parfums qu’on accrochait à la ceinture et la peinture d’une jeune femme en train de se parfumer les manches. (ci-dessous, peinture de Chen Hongshou). Cette peinture est d’ailleurs très utile pour comprendre comment on se parfumait ; les manches de la jeune femme sont posées sur une cage en-dessous de laquelle est allumé un brûle-parfum en forme de canard.
Les Qing, la folie sensorielle
Sous les Qing (1644-1911), certains textes mentionnent les chiffres faramineux de bâtons d’encens utilisés dans une journée, cela va parfois jusqu’à un millier ! De plus, les objets réalisés en porcelaine ont une valeur telle qu’ils peuvent servir de trésors, alternatives plus légère que l’or. Les temples les plus riches ont par exemple des sets entiers de vaisselle d’autel. Généralement, il y a au moins un brûle-parfum dans le lot. La dynastie Qing, c’est aussi la victoire du bâton d’encens, les objets du parfum s’allongent donc tous pour mieux correspondre à la forme. Les différentes manufactures rivalisent de virtuosité technique pour fournir les objets les plus esthétiques qu’il soit. On a par exemple ce porte encens en émaux roses qui présente deux figures en train de s’enlacer.
La scénographie, ingénieuse, a d’ailleurs reconstitué un intérieur chinois de l’époque Qing, pour que le public puisse se rendre compte de comment les objets du parfum étaient mis en scène au quotidien.
A l’opposé de cette folie des grandeurs, le parfum trouve aussi sa place dans la pharmacopée chinoise, la borne olfactive de cette salle reconstitue d’ailleurs une recette retrouvée dans une ordonnance faite à l’impératrice Cixi à la fin du XIXe siècle. Enfin, bouquet final de cette exposition, François Demachy a composé un parfum qui est une synthèse entre les goûts modernes et la tradition chinoise.
En somme, cette exposition a d’intéressant le fait qu’elle soit réellement transversale : on quitte le musée en ayant vu toutes sortes d’objets : des céramiques, des bronzes, des textiles, des peintures, on a même des citations écrites aux murs pour que tous les Arts soient vraiment mis en rapport ! Il s’agit d’une chance unique de découvrir des pièces magnifiques dont on n’est pas certains qu’elles reviendront en France un jour.
Article écrit par Ariane Da Cunha
Photos : copyright Musée de Shanghai