
Désormais visité par des millions de touristes chaque année, le château de Versailles continue de magnifier la puissance royale du roi Louis XIV et de la France aux yeux du monde entier. Mais cet intérêt du roi pour ce site marécageux n’a pas été immédiat. Il a fallu dompter le territoire, le transformer et l’aménager afin d’établir un réseau hydraulique suffisant pour alimenter les fontaines et les bosquets du parc qui font sa renommée aujourd’hui.
Bref historique du Parc
Ancien pavillon de chasse prisé du roi Louis XIII et de Louis XIV à partir des années 1650, ce dernier ne décide d’en aménager le parc qu’à partir des années 1660 afin d’en faire un parc d’une « étendue considérable » et de le rendre plus agréable lors de ses venues. C’est le verger qui bénéficia dans un premier temps de travaux sous l’intendance de Jérôme Blouin. Le déplacement progressif de la cour et des activités royales vers le site de Versailles ne fut pas du goût de tout le monde et Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon ne put s’empêcher de parler de Versailles dans ses Mémoires en ces termes « Versailles, lieu ingrat, triste, sans vue, sans bois, sans eaux, sans terre, parce que tout est sable mouvant et marécage, sans air, par conséquent qui n’est pas bon ». Bien que son ton exagéré traduise son sentiment d’exaspération, le duc pointe le doigt sur l’insalubrité du parc, constat étonnant lorsqu’on observe la beauté des bosquets et les 123 fontaines du parc régulier à la française.
Le deuxième grand chantier du parc concerne l’aménagement des bosquets et des fontaines entre 1665 et 1678. De multiples commandes de sculptures sur les thèmes apolliniens et solaires, en lien avec la décoration interne des appartements, viennent habiter les bosquets. Les fontaines sont quant à elles mises en place et créées par les frères Francini (francisé en Francine), auparavant au service des Médicis de Florence, appelés par le roi pour venir travailler à Versailles. Chaque fontaine a été exclusivement faite pour un effet d’eau particulier, tout devait être calculé en fonction de sa situation dans le jardin (points de vue paysager et hydraulique). Ces jardins reflètent le mélange de compétences qui s’est opéré entre Le Vau et son successeur François d’Orbay, avec André le Notre et les frères Francini, dans le but seul d’exalter la gloire royale et de subvenir à ses plaisirs.
L’Hydraulique du parc du château
L’aménagement urbanistique du territoire
Lors du choix du site pour la construction ou l’aménagement d’une résidence, c’est l’étude de l’eau et des capacités hydrauliques à disposition qui doit précéder tout le reste. Il n’en est rien ici à Versailles. A l’époque du modeste pavillon de chasse de Louis XIII, une pompe fut installée par le fontainier Claude Denis près de l’étang de Clagny afin d’alimenter, par énergie animale, les deux fontaines de la terrasse et les deux bassins de part et d’autre. Système urbanistique et nouvelle conception de l’aménagement du territoire dans toute sa globalité furent essentiels pour la communication, le transport et la vie quotidienne au château.
L’eau pose un grand problème à Versailles puisqu’il s’agit d’une zone marécageuse. L’enjeu était donc de canaliser l’eau, d’assécher certaines parties et d’acheminer l’eau vers les fontaines. Tout un système de drainage de l’eau fut conçu pour qu’elle soit évacuée vers des aqueducs et des canaux. Il s’agissait ensuite de trouver des sources et des réserves d’eau suffisantes pour les fontaines mais aussi de construire des voies d’acheminement et d’évacuation des eaux. En 1664, la pompe de Claude Denis fut remplacée par une tour d’eau construite par Le Vau. Au rez-de-chaussée, la pompe de Denis Jolly permettait de tirer l’eau et de l’acheminer vers le réservoir situé au 1er étage. Comme cela ne suffisait pas à alimenter toutes les fontaines, furent créés cinq réservoirs principaux qui continuent encore aujourd’hui à alimenter les fontaines : sur les deux collines surplombant le château, les réservoirs de Montbauron et de Gobert (45 000m3) ; sous l’orangerie du château, les trois réservoirs Sous-Terre alimentent la perspective et les bosquets au sud (67x16m de côté construits en 1672, 1,6 m de profondeur).

Petit à petit, entre 1675 et 1685, tout un réseau d’aqueducs fut mis au point afin de puiser l’eau dans tous les étangs de la région, artificiels comme naturels, de l’étang de la Tour à Rambouillet aux étangs de Villiers et de Saclay. Cependant, ce système de pompage n’était pas suffisant pour subvenir aux importants besoins du parc (ressources variables en fonction du vent et du courant). Une partie du problème fut solutionnée par la construction d’étangs sur les collines de la région topographiquement plus élevées, comme à Trappes. Des travaux furent également entrepris pour aller puiser l’eau de l’Eure mais ceux-ci restèrent inachevés.

Le système hydraulique
Le circuit de l’eau :

A Versailles, le système hydraulique mis en place est un système gravitaire. Importé par les frères Francini lors de leur venue en France, cela consiste à jouer sur le dénivelé naturel et le poids de l’eau afin d’obtenir de la pression tout au long du circuit. L’objectif était donc de trouver une altimétrie supérieure au château et de pouvoir stocker l’eau. Le réservoir de Montbauron, situé à 1 km et à un dénivelé d’environ 10 mètres de plus que Versailles, est celui qui approvisionne le plus les fontaines du parc ainsi que les bassins comme la Pièce d’Eau des Suisses et les deux bassins de la terrasse. Versailles est en effet une succession de terrasses et de belvédères le long d’une pente qui aboutit dans le Grand Canal en contre bas. Chaque bassin est toujours alimenté par un réservoir, par des sources d’eau naturelles ou par l’eau venue d’une fontaine située plus en amont. Un système de trop-plein entre les bassins évite le débordement. Le cheminement de l’eau, des sources d’eau (étangs, rus…) aux réservoirs, puis des bassins aux fontaines, s’achève dans le Grand Canal dont l’excédent alimentait le ru de Gally puis la Mauldre qui rejoint la Seine à Epône. C’est donc le système hydrographique naturel qui est utilisé, si ce n’est dans sa totalité, au moins dans sa moitié.
La tuyauterie et l’entretien du réseau :
Tout le système hydraulique et le parcours qui alimente les fontaines du parc ont été conservés depuis 1715. Les tuyaux en fonte datent pour la plupart de 1850 et de 1868, lorsqu’ils ont dû être changés en dernier recours, mais toute une partie date encore du règne de Louis XIV et n’a pas été modifiée. Le circuit comprend environ 35 km de tuyaux qui alimentent 690 effets d’eau, c’est-à-dire autant d’ajutages, le tout en « seulement » 6 km de galeries. Ces galeries sont creusées suffisamment grandes afin de permettre aux fontainiers d’accéder très facilement et rapidement à toutes les canalisations, notamment en cas d’urgence. L’immédiateté et la disponibilité étaient les maîtres mots des 12 fontainiers du parc. Ces derniers étaient logés sur place comme l’avait demandé Colbert dans l’établissement de ses règles pour le service des fontaines. Ce service était composé d’un grand maître fontainier, de fontainiers et de garçons fontainiers qui étaient chargés de courir pour ouvrir au plus vite les vannes les plus lointaines. Ces hommes avaient une obligation de réussite sous peine de voir les gages du maître diminuer et donc de se faire licencier par lui. Ils avaient la nécessité de remplacer un tuyau défectueux en seulement une journée et devaient inspecter régulièrement tout le réseau, qui demande beaucoup d’entretien.
Parmi leurs tâches quotidiennes, ils étaient chargés de l’entretien du réservoir Sous-Terre, accessible par une grande chambre. Son nettoyage s’effectue tous les deux ans : le bassin est vidé et entièrement nettoyé, quelques travaux d’étanchéité sont également réalisés si besoin. Celle-ci s’effectue avec de la glaise, évitant ainsi la moindre fuite. Son système de voûte, conçu par Le Vau, est en appareillage de pierre parfait puisqu’elles sont autobloquantes, permettant ainsi de supporter de lourdes charges. De plus, le nivellement au sol est extrêmement précis est régulier sur les 67 mètres de longueur.

De ce réservoir partent de très nombreux tuyaux en fonte à l’étanchéité remarquable. Il semblerait, selon des illustrations tirées de l’Encyclopédie, qu’ils étaient fabriqués directement dès la sortie de la fonte du creuset et coulés dans des moules en sable et en bois. Des traces de la jointure de la caisse en bois sont encore visible sur la plupart d’entre eux. A l’époque de Louis XIV, la jonction entre eux se faisait par un système de bride avec des éléments tampons : une rondelle de cuir et une rondelle de plomb étaient collées par du mortier à froid sur une bride puis des boulons trapézoïdaux venaient refermer la jointure. Cette forme bien particulière visible sur les tuyaux de cette époque est un système autobloquant car les boulons venaient buter sur le tuyaux, évitant alors tout risque de jeux sous la pression de l’eau et du temps. Au XIXe siècle, la jonction se faisait par soudure au plomb, la rendant indestructible et et évitant les « coups de bélier ».
La pression maximale dans les tuyaux est d’environ un bar, ce qui n’est pas énorme. Afin d’amplifier la pression au sortir des ajutages pour obtenir des effets d’eaux aussi divers qu’impressionnant, il fallait recourir à diverses stratégies. La première consiste à réduire progressivement le diamètre des tuyaux amenant l’eau à la fontaine et de jouer sur l’ajutage en le réduisant jusqu’à 5 mm environ. La deuxième solution est le recours à des vannes régulatrices qui permettent de varier la pression de l’eau en l’ouvrant totalement ou en partie, comme sous le bassin de Latone, ce qui revient à ouvrir l’eau selon la petite ou la grande manière.
Le système hydraulique de nos jours
De nos jours, seulement huit fontainiers sont chargés de l’entretien de l’ensemble de la tuyauterie mais également de la mise en eau des fontaines et des bassins. Tout un réseau électrique permet désormais d’ouvrir les vannes des fontaines et de faire arriver l’eau depuis les réservoirs de Montbauron et de Gobert. La poire électrique indiquant les informations de pompage est notamment nécessaire lors des Grandes Eaux proposées par le château car le réservoir perd environ 30 cm de profondeur. Comme ce spectacle reste un évènement très prisé, le renouvellement de l’eau dans le réservoir Sous-Terre est fondamental. Des clés lyre permettent toujours d’ouvrir des valves manuellement, et ce depuis le XVIIe siècle.

De grands travaux sont en train d’être entrepris par les équipes d’archéologues et d’historiens de Versailles pour tenter de retrouver et de tracer tout l’ancien réseau d’aqueducs et de pierrées construit sous le règne du Roi-Soleil. Selon leurs calculs, il y aurait environ une dizaine de sources qui pourraient être puisées pour de nouveau amener de l’eau dans le jardin. L’archéologie moderne prend ici toute son importance car il est nécessaire de recouper les restes archéologiques de ces voies avec les anciennes cartes topographiques de la région, l’intérêt étant dans un premier temps la compréhension de l’aménagement du territoire global et dans un second temps leur réutilisation et remise en eau pour des besoins modernes. Les quelques premiers réseaux remis au jour ont laissé apercevoir une maçonnerie en parfait état, preuve en est de la qualité des constructions de cette époque, même si ces ouvrages étaient cachés du grand public et n’avaient donc pour but que d’acheminer de l’eau en souterrain. L’objectif serait ensuite de les nettoyer pour les dégager de leur vase, de les réalimenter auprès des étangs et de les recontacter au Grand Canal.