L’Occident permet-il l’émergence d’un art contemporain africain ?

La vision de l’Occident sur l’Afrique et ses productions artistiques

Les relations entre l’Occident et l’Afrique ont, pendant de nombreux siècles, été conflictuelles (esclavagisme, colonisation, génocide). Elles ont généré des écrits, des anecdotes, des histoires et l’Histoire, des préjugés, des stéréotypes, des fascinations et des curiosités. 
Des philosophes comme Kant (Observation sur le sentiment du beau et du sublime publié en 1764) et Burke (Recherche philosophique sur l’origine de nos idées sur le sublime et du beau, 1757) utilisent dans leurs ouvrages des termes tels que « fétiches-idolâtrie-primitif » pour qualifier la production africaine (masques, lances, statues…).
En employant ces mots comme qualificatifs d’une production étrangère aux occidentaux, Kant et Burke ne peuvent donc pas désigner et apprécier ces objets comme production artistique. 
La littérature propage l’idée que les peuples africains sont différents des occidentaux avec des pratiques propres en utilisant le terme « négritude »
Cet héritage inconscient traverse les siècles et n’influence pas seulement des hommes de lettres mais également des artistes. Ces derniers se regroupent pour de diverses raisons à Paris au cours du XXe siècle et font alors de la capitale française un centre artistique majeur. À partir de 1906, Paris devient un lieu important dans le développement de « l’art nègre ».  Il est important de rappeler que les occidentaux considèrent ces artefacts africains comme de l’art, mais ces derniers n’étaient pas  réalisés dans un but esthétique mais uniquement pratique.  

À la question « qu’est ce que l’art nègre ? », Picasso répond qu’il ne le connaît pas. Il témoigne de son indifférence pour les facultés plastiques et artistiques des productions africaines sans en nier l’existence. Même si Picasso est un grand collectionneur d’art dit « primitif », celui ci préfère une vision mystique à laquelle Burke et Kant faisaient référence 150 ans plus tôt. Il va utiliser cette production artistique dite « primitive » pour son aspect magique voire « fétiche ». Cet engouement pour l’exotisme se retrouvera dans certaines de ses productions. Les Demoiselles d’Avignon réalisé en 1907 en est un bon exemple. La représentation des femmes est très marquée par ce goût pour la statuaire dite « primitive ».  

Cette vision normée de l’Afrique est également reprise au XXIe siècle par l’artiste congolais Chéri Samba à l’aide de son tableau La vraie carte du monde datant de 2011. L’artiste représente délibérément un planisphère « pas droit » en accompagnant sa production du titre La vraie carte du monde. Un texte issu de l’ouvrage de Lilian Thuram Mes étoiles noires publié en 2009 est accolé dans la partie inférieure du tableau, intégré et indissociable à l’œuvre. Cette explication placée directement sous la tableau s’ouvre avec la phrase : « Non cette carte n’est pas à l’envers ».

La vraie carte du monde, Chéri Samba, 2011

L’artiste témoigne d’une mauvaise appréciation des proportions selon les continents. La projection de Mercator est remise en cause, elle place les pays dits « du Nord » en haut, occupant une place majeure voire prédominante tandis que les pays « du Sud » sont en bas, plus petits, et parfois exclus (cas des pays océaniens). 
Le texte cite deux géographes contemporains (Stuart McArthur et Arno Peters) qui expliquent que les pays  d’Amérique du Sud ou d’Afrique sont plus étendus que les pays du Nord. Des chiffres appuient leur théorie : l’Afrique occupe 30 millions de kilomètres carrés alors que la Russie a un superficie de 17,1 millions de kilomètres carrés. L’Afrique devrait donc être représentée deux fois plus grande que la Russie. 
La projection de Mercator ne serait-elle donc pas un moyen de visualiser la suprématie des peuples du « Nord » sur les peuples du « Sud » ? 
Ce tableau de Chéri Samba a été acquis en 2012 par la Fondation Cartier pour l’art contemporain de Paris. Comme si, paradoxalement, un artiste qui prône son origine africaine doit s’expatrier en Occident pour pouvoir espérer être reconnu et être exposé. On peut voir à travers La vraie carte du monde un souhait de rééquilibrage entre pays « du Nord » et pays « du Sud ». Pourtant, cette œuvre est exposée à Paris. Lieu même du développement de l’art et de « l’art nègre » au XIXe siècle ; Paris, capitale de la France, d’un pays considéré comme riche et « du Nord ». 

La difficulté d’être un artiste contemporain africain 

L’organisation de nombreuses expositions sur l’art contemporain africain comme Les Magiciens de la Terre au centre Pompidou en 1989, Partage d’Exotisme à la Biennale de Lyon en 2000 ou encore Africa Remix au centre Pompidou en 2005 peuvent nous questionner sur l’existence d’un art contemporain africain. Si celui-ci existe, comment peut-on le définir ? 
Les titres donnés aux expositions précédemment citées ne sont pas tout à fait anodins. Ils laissent penser au spectateur qu’il s’apprête à appréhender l’art contemporain africain dans sa globalité. Mais peut on regrouper l’art africain dans une même exposition ? Peut-on prétendre réunir et synthétiser l’art de tout un continent ? N’existe-t-il pas des spécificités propres à chaque peuple, chaque pays, chaque culture ? 
Il est compliqué de traiter une telle question. Beaucoup d’artistes africains connus sur la scène internationale sont nés en Afrique mais vivent et produisent ailleurs. 
L’artiste africain doit faire le choix de mettre ou non son africanité en premier plan. La revendiquer voudrait dire mettre une identité en avant à travers une esthétique propre. Des artistes comme le tanzanien Georges Lilanga Di Nyama ou encore le camerounais Joseph-Francis Sumegné jouent avec cette notion « d’art nègre ». L’un sculpte et peint le bois tandis que l’autre fabrique des masques, le tout avec un regard ironique et un détournement des idées préconçues qui touchent leur continent.

 

Space Walk, Yinka Shonibare, 2002

Les artistes africains sont tout autant actuels que les autres artistes contemporains des autres continents. Ils sont modernes, ils usent de l’ensemble des techniques, s’informent de l’actualité mondiale et sont affectés par le marché de l’art occidental et la mondialisation. C’est ici que se situe tout le dilemme et le paradoxe. Pour être connus et reconnus à l’international, les artistes africains doivent se plier à des « convenances » et des goûts mondiaux. Un artiste sera apprécié sur la scène artistique mondiale s’il arrive à utiliser ces codes tout en gardant son identité propre.  
L’artiste brittanico-nigérien Yinka Shonibare semble bien avoir saisi cette notion d’hybridité. Il utilise le wax (étoffes africaines) pour recouvrir des personnages dans des scènes « occidentales ».  

Mural, Julie Mehretu, 2014

L’art abstrait africain ne s’intègre t-il pas dans l’art universel ? Il s’agit là d’un art, certes africain (grâce à l’origine géographique de l’artiste) mais également un art sans frontière. Julie Mehretu, artiste née en Éthiopie, réalise des compositions abstraites. Mural est exposé dans le hall de  la banque d’investissement Goldman Sachs à New-York. Ici, rien (ni le support, ni l’esthétique, ni la technique) ne renvoie à un imaginaire africain ni à un imaginaire occidental de l’Afrique. Preuve que « l’art africain » peut être rattaché sur différents plans (iconographique, géographique, historique) à des productions diverses et variées.         

Parler d’un « art africain contemporain » n’est pas une mince affaire. L’art dit « primitif » africain, n’est pas un art à proprement parler, on le désigne plutôt comme artefact. Même si toutes les qualités plastiques et techniques font de lui un « art », cette notion est occidentale. C’est le regard des occidentaux sur ces objets qui le définit comme art à part entière. 
Concernant l’art contemporain, le contexte de mondialisation et de fusion des arts pousse plutôt à parler « d’art mondial » au sens large. Les artistes voyagent, se documentent, partagent des savoirs. Il semble alors que la notion d’art contemporain africain soit ambiguë et indéfinissable. Erick Cakpo, chercheur à l’Université de Lorraine, propose l’utilisation du mot art « glocal », qui permet de caractériser un art mêlant des éléments d’inspiration globale et locale.



Sources :

  • Philippe Dagen, « ‘‘Africa Remix’’ : des singularités et des formes universelles », Le Monde, 25 mai 2005.
  • Erick Cakpo, « L’art nègre ? Connais pas » : existe- t-il un art africain contemporain ?, The Conversation, 25 mai 2017.

 

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