
À compter du 18 septembre, l’art de Madagascar, très méconnu, s’invite en grande pompe au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac. La dernière grande exposition à ce propos a eu lieu en 1946, et le point de vue était, de fait, très différent. Le sujet, qui reste donc assez inédit, s’expose cette fois en 350 pièces réparties sur trois thématiques dans l’espace d’exposition : « Madagascar dans l’espace et dans le temps », « Le monde des vivants », et « Le rapport entre les mondes invisibles et parallèles, et le monde des morts ». Comme à son habitude, le Quai Branly propose une exposition didactique, qui fait des parallèles judicieux entre œuvres anciennes et contemporaines, nous donnant ainsi les codes pour comprendre et apprécier cet art.
Il est par ailleurs intéressant de noter qu’une loi interdit depuis 1982 l’exportation depuis Madagascar de pièces locales. Cette loi a été promulguée en raison des pillages très dévastateurs des tombes dans les années 80 et 90, mais le musée du Quai Branly n’a pas exposé de pièces issues de ces vols.
Le Royaume de Madagascar, fruit d’un métissage culturel…
Les premiers habitants de l’île sont peu connus. Celle-ci connaît des migrations successives depuis le Vème siècle de notre ère et se retrouve donc très tôt le carrefour de diverses influences : arabes, africaines, indiennes et d’Austronésie (Asie du sud-est). Des populations islamisées arrivent dès le Xème siècle, comme en témoignent les manuscrits magiques arabico-malgaches exposés.
Les migrations se poursuivent ainsi jusqu’au XVIIIème siècle, tandis que divers royaumes se développent et se dotent de guerriers qui les défendent, d’abord avec des boucliers, sagaies ou tridents, ensuite avec des fusils européens. Durant cette période, la figure du roi se sacralise. Au XIXème siècle, le royaume de Merina prend le contrôle de toute l’île jusqu’à la création d’un royaume de Madagascar, ceci avec l’appui des Anglais.

Les guerriers réussissent donc à défendre l’île de toute ingérence extérieure jusqu’au XIXème siècle, mais 1897 marque la chute du royaume malgache avec son annexion par le général Gallieni. Lorsque les Français prennent le pouvoir, ils interdisent le port de la sagaie, entraînant la création de cannes d’apparat sculptées qui révèlent à leur tour le statut des guerriers.
…qui se ressent dans l’histoire de l’art
Dès la fin du XIXème siècle, de nombreuses œuvres témoignant de ces influences multiples sont mises au jour. Les fouilles révèlent en effet des céramiques importées de Chine et d’Europe, des perles d’Inde, des manuscrits magiques rédigés en arabico-malgache, ou des objets de verre venus d’Égypte. Forte de ces échanges culturels, la société prospère. De fait, l’île a également développé de nouvelles pratiques au contact de ces civilisations extérieures, telles que la riziculture ou l’élevage de bovins.
Lorsque les Français prennent le pouvoir au XIXème siècle, cela transparaît dans les domaines artistiques, notamment avec la création d’une École des Beaux-Arts et le développement de la photographie dès 1880. À l’inverse, les peintures malgaches s’immiscent dans la culture européenne par leur présentation dans les expositions universelles ou coloniales. Cependant qu’une production académique voit le jour, des productions originales se développent également, avec, au contraire, l’idée que l’art de la grande île ne doit pas se perdre, que Madagascar doit garder sa culture originale.

L’art malgache : un art chargé en significations
L’art des vivants
Dans chacune des trois parties de l’exposition sont exposées des pièces dont la symbolique est importante pour la population malgache. Le Zébu, signe de richesse et de pouvoir, est fréquemment représenté. Le plus rare reste le Zébu blanc, dont des poils peuvent être accrochés à la porte des demeures, signe extérieur du statut social de son habitant. Le crocodile est, quant à lui, associé à la famille royale et à sa descendance.

Le felana, quant à lui, est un coquillage blanc tronqué qui assure la protection des guerriers qui le portent au front, et des femmes qui le portent en collier. Plus diverses sont les amulettes protectrices : de tailles et formes variées, chacune est unique, associant dents de crocodile, ciseaux métalliques, etc. Les amulettes sont notamment utilisées dans les combats ; celles dotées d’objets pointus, coupants, servent essentiellement à se séparer d’un ennemi. Quant aux amulettes dotées d’objets pinçants, elles ont plutôt pour but de retenir la bonne fortune, de s’attacher quelqu’un.

Le monde magique et invisible est donc très présent dans cette exposition.
L’orientation est une autre donnée très importante et chargée de sens. Les volets et portes sont sculptés de motifs géométriques circulaires ou orientés. La disposition de la maison elle-même n’est pas laissée au hasard : le coin nord-est, le plus sacré, est dédié aux ancêtres, tandis que le nord, lui aussi sacré, est réservé au maître de maison. Au sud se trouvent la cuisine et les objets du quotidien, voire les objets plus triviaux que sont par exemple les poubelles.
L’art dédié aux ancêtres
La place des ancêtres est essentielle dans la culture de l’île. Preuve en est des lamba par exemple, textiles tissés portés par les vivants, qui sont de matière parfois très riche, comme la soie, lorsque servant de linceuls aux morts.

Les tombeaux sont décorés de poteaux sculptés, dont la polychromie est malheureusement souvent perdue, qui sont à l’image de ce que le défunt veut que l’on garde de lui, tels un statut de guerrier, une richesse notable, ou encore le fait d’avoir travaillé dans l’administration coloniale. Ces poteaux de tombes peuvent aussi être décorés de canards à bosse car ceux-ci sont très fertiles et représentent le lignage : dans le monde des ancêtres doit pouvoir s’épanouir l’amour. En effet, l’amour est considéré comme plus fort que la mort, car plus fort que la vie elle-même. La vie et l’amour sont donc plus forts que tout et se célèbrent avec les ancêtres. Le sacrifice du Zébu est une cérémonie importante qui ponctue la vie des vivants pour la lier à celle des morts. Le plus régulièrement possible, on exhume les corps des ancêtres pour changer leur linceul et sacrifier un ou plusieurs Zébus. Cette cérémonie, au demeurant festive, est très coûteuse, pour ne pas dire somptuaire, et n’a donc pas la même fréquence selon les familles.
- Poteaux de tombes. Musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Vue de l’exposition « Madagascar, Arts de la Grande île ». Copyright : © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde
La musique a également une dimension sacrée puisqu’elle est liée à l’arrivée des ancêtres dans les diverses cérémonies.
En résumé
L’exposition, bien qu’éclairant le visiteur sur des aspects de civilisation, se concentre autant que faire se peut sur l’Histoire de l’art pour en livrer ses particularités. Le commissaire de l’exposition, Aurélien Gaborit, explique que l’art de la grande île est un art « qui se scrute, qui se regarde de près pour en voir toute la finesse ». Futurs visiteurs, n’hésitez donc pas à vous approcher des œuvres, vous immerger dans leur contemplation, en observer les détails et les comparer, car c’est là que réside leur beauté.
Photo de couverture : Poteaux de tombes. Musée du quai Branly – Jacques Chirac. Vue de l’exposition « Madagascar, Arts de la Grande Île ». Copyright : © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde.
Informations pratiques
Exposition du 18 septembre 2018 au 1er janvier 2019.
plutôt cool l’expo mais clairement biaisé comme article, pas fan
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