
Si vous êtes amené à visiter le musée du Louvre prochainement, laissez vous emporter dans ce dédale de tour et de détours, dans tous ses escaliers et couloirs, jusqu’à vous perdre. Et c’est bien caché, dans la salle 66 de l’aile Sully, au deuxième étage, que se trouve notre œuvre. Acquise durant le Salon de 1841, Magdalena-Bay, vue prise de la presqu’île des Tombeaux, au nord du Spitzberg; effet d’aurore boréale attire immédiatement notre regard dans sa direction, nous poussant à l’étudier plus en détail. François Briard nous offre ici un spectacle aussi majestueux que morbide entre la somptuosité d’une aurore boréale et les conséquences d’un naufrage dans ce grand nord froid et hostile.
François Biard (1799-1882), qui est-ce ?

Né en 1799, ce lyonnais est formé aux Beaux-Arts de la ville. Cependant, n’étant pas un élève assidu, il est fréquemment qualifié d’autodidacte.
Son art se perfectionne au fil de ses différents voyages, le premier en Italie à ses 26 ans. Mais c’est suite à un voyage qu’il entreprend en 1839 avec sa future femme Léonie D’Aunet au Spitzberg, une île de Norvège, et en Laponie, que son approche artistique est véritablement marquée.
Petite anecdote : Léonie D’Aunet devient sa femme en 1840, mais leur mariage prendra rapidement fin. En effet, en 1845, elle est prise en flagrant délit d’adultère avec Victor Hugo dans un hôtel du passage Saint-Roch.
Si sa femme publie profite de ce voyage pour en publier le récit : Voyage d’une femme au Spitzberg 1854, François Biard produit une centaine de croquis et d’études de paysage, de portrait du peuple Samis. Cela lui permet par la suite de réaliser plusieurs œuvres aux paysages inquiétants et froids caractéristiques de ce Grand Nord qu’il a exploré, mais aussi des plus douces et “exotiques” : Kayaks esquimaux, le baiser, 1842 (ci-dessous à gauche).


Il fait d’autres voyages plus tard dans sa vie, mais aucun ne se montre aussi productif que cette froideur nordique qui l’a frappé et qu’il nous transmet dans l’œuvre que je vous présente aujourd’hui. On peut ici citer son aventure brésilienne en 1859, de la province d’Espirito Santo au Rio Madeira, et d’autres régions encore. S’il en retire moins d’oeuvre, il en fait tout de même un long récit parsemé d’humour et dérision que l’on peut apercevoir également dans Deux Indiens en pirogue, 1860 (ci-dessus à droite), avec la position lascive d’un des personnage tandis que l’autre semble lutter de toutes ses forces pour garder en mains leur chargement.
Bien qu’il soit principalement reconnu pour des peintures de paysages, Biard n’en est pas moins un artiste aux multiples sujets. De scènes religieuses à des représentations de vie quotidienne en passant par des aspects plus historiques voire militaires, les facettes de son œuvre sont diverses et variées sans pour autant perdre la minutie que l’on note dans la représentation de cette grande étendue glacée de Magdalena Bay.
Une œuvre entre calme et tourment, la majestueuse nature face à la mort de ses explorateurs
Dans cette œuvre, Biard nous offre un double spectacle. En effet, la splendeur d’une aurore boréale dans la partie haute de l’œuvre se trouve confrontée à la mort d’explorateur dont on voit les corps en bas du tableau. Le peintre fait ici le choix d’une palette de couleur froide, composée de différentes teintes de blanc, de gris bleuté, notamment au niveau de l’eau dans laquelle on devine les derniers indices de la présence d’un navire, avec ce mat qui flotte au milieux de ces blocs de glaces.
Cette froideur de la palette chromatique employée va de pair avec le grand nord représenté ici, mais au-delà de cette simple corrélation, cela semble faire écho à l’agonie de la scène se jouant en bas du tableau. Sur ces cinq explorateurs, seul un semble encore vivant, bien qu’il soit recroquevillé sur lui-même à côté de ses compagnons. L’aurore boréale, malgré son sa pureté d’un blanc éclatant, a elle aussi perdu ses vives couleurs que l’on attribue plus fréquemment aux aurores boréales. Est-ce ici un choix simplement esthétique ou peut-on y voir un rappel à ces morts que l’on prendrait presque pour des rochers du paysage tant ils sont traités sans la colorisation habituelle donnée aux êtres vivants ? Il semblerait que cette question reste sans réponse.



Malgré cette austérité du grand nord, le spectateur se perd rapidement dans la contemplation de ses grandes étendues enneigées, rappelant les œuvres romantiques de la période. On peut ici penser au Voyageur contemplant une mer de nuage de Caspar Friedrich, où les mouvements des nuages rappellent ceux de l’aurore boréale, ou même la blancheur des ces derniers en parallèle avec la neige de la Magdalena Bay. La profondeur de ce paysage nous pousse toujours plus à vouloir nous plonger dans cette oeuvre, à s’en perdre comme cet explorateur. attend-il son heure ou les secours ? Les traces de pas en bas droite de l’œuvre nous offrent l’espoir qu’un autre explorateur soit parti chercher des secours, mais il se pourrait aussi bien que ce soit ce dernier survivant qui se soit rapproché des ses compagnons plutôt que de pousser son dernier souffle seul dans ce désert froid bien que majestueux.
Qu’arrive-t-il à ce dernier survivant ? S’en sort-il ? Les secours arriveront-ils à temps ? Nous ne le saurons jamais et chacun est donc libre de créer sa propre fin à cette histoire que nous raconte Biard dans cette œuvre aussi froide qu’impactante.

Léa SANGY