Le renouveau de la fondation Bemberg

La rénovation de la fondation Bemberg à Toulouse a duré trois années, est revenue à onze millions d’euros, mais elle permet de redécouvrir à la fois l’hôtel d’Assézat, joyau de l’art Renaissant classé au titre des Monuments Historiques, et la collection remarquable qu’il abrite. Le collectionneur argentin Georges Bemberg avait débuté sa collection de manière précoce, à l’âge de dix-huit ans, et n’a depuis lors cessé d’acquérir des chefs-d’œuvre, en faisant preuve d’une perspicacité et d’une sensibilité remarquables dans ses choix. Georges Bemberg déclarait s’être inspiré lui-même de la collection de Richard Wallace. Si sa mort récente [en juillet 2011, ndlr] avait occasionné des doutes quant à l’avenir de la collection, il semble qu’à travers cette réouverture, la fondation a su s’affirmer dans le paysage muséal tout en se renouvelant.

Au premier étage, le parcours chrono-thématique débute par une pièce consacrée à la Renaissance italienne, dans ce qu’elle comporte de meilleur : Paolo Cariari dit Véronèse, Le Fauconnier, huile sur toile de très grand format datée de 1560, suivi du Tintoret, de Jacopo Bassano et Carpaccio…

Hercule et Omphale, Lucas Cranach l’Ancien, 1537.

Les grands formats de cette première salle consacrée à la Renaissance italienne impressionnent dès le départ. La production de ces grands maîtres vénitiens inaugure le thème du portrait cher au collectionneur. Portraits italiens, mais également français, avec ceux de François Clouet (Portrait de Charles IX, huile sur bois datée de 1561-1570). La scénographie minimaliste, avec les murs au fond gris beige, le soin apporté aux cadres et à la luminosité, participent au plaisir de la visite.

Renaissance et Beaux-Arts

Nous constatons que la commissaire d’exposition Ana Debenedetti a souhaité conserver l’esprit des lieux en rassemblant le mobilier d’époque (visible dans les salles consacrées au XVIIIe siècle), rappelant sa fonction d’hôtel particulier d’origine. Rappelons que l’Hôtel d’Assézat avait été bâti initialement par l’architecte Nicolas Bachelier, visiblement très marqué par l’exemple de Serlio, en 1555, à la demande d’un riche négociant ayant fait fortune grâce au pastel. Les espaces intérieurs ont entièrement été repensés d’un point de vue muséographique afin d’offrir davantage de clarté. Cela a été rendu possible grâce à l’architecte Philippe Pumain, qui s’est chargé de la redistribution des espaces. Cette redéfinition a permis aussi l’abandon des textiles sur les murs et un nouveau design des vitrines afin de présenter l’orfèvrerie et la céramique dans les meilleures conditions possibles.

Une attention particulière est consacrée aux objets d’art (César en Égypte de Nicola da Urbino, une assiette en majolique datée de 1533). Ils permettent de faire la transition avec la suite de la visite. D’ordinaire minorés, leur mise en valeur est notable au sein de la fondation. Ils sont l’occasion de se replonger dans l’ambiance du cabinet de curiosités tel qu’il se développe à la Renaissance dans les milieux érudits. À noter : une œuvre remarquable en bois sculpté, Oréades enlevant une épine du pied d’un satyre, d’après Bartholomeus Spranger, datée de la fin du XVIe siècle, ne manque pas de surprendre le public. Ce dernier peut ainsi découvrir une grande diversité de techniques, dans le domaine du mobilier. Citons une armoire à folios réalisées par le grand ébéniste BRVB, Bernard Van Riesen Burgh, vers 1745. Il s’agissait à l’origine d’une commande du contrôleur général des finances du roi Louis XV, Jean-Baptiste Machault d’Arnouville. Elle était destinée à orner la bibliothèque de son hôtel particulier, mais elle trouve pleinement sa place au sein dans cet écrin toulousain.

On y retrouve également deux acquisitions récentes, des œuvres de Nicolas Tournier (décédé à Toulouse en 1639), montrant l’influence de Caravage dans la maîtrise du clair-obscur. Il s’agit de deux allégories présentées en pendant : Les Fruits de l’été et Paysanne portant des fruits, toutes deux exécutées en 1630. Une salle est consacrée aux écoles du Nord, tout particulièrement à travers Cranach l’Ancien. À travers ses cinq œuvres exposées, on y retrouve ce « type féminin » qu’il semble décliner à travers plusieurs toiles : visage juvénile et silhouette serpentine, les femmes telles qu’il les représente suscitent désir et méfiance.

Nicolas Tournier, Les Fruits de l’été, 1630, huile sur toile.

Le portrait par François Boucher d’une jeune femme pleine d’expression, et les représentations vénitiennes de vedute de Canaletto et Francesco Guardi annoncent la modernité à venir. Là encore, le parcours est donc d’une grande cohérence. Le second étage est consacré à la peinture moderne, en débutant par la période impressionniste. Là aussi, les chefs-d’œuvre se succèdent : une nature morte et un portrait d’Henri-Fantin Latour (deux genres dans lesquels il s’est illustré) et en face une œuvre de Berthe Morisot frôlant l’abstraction dans sa touche : il s’agit de la Villa Arnulphi à Nice/ Femme au jardin, datée de 1882. Le tableau était présenté lors de la septième exposition impressionniste en 1882. Une autre grande artiste de cette même génération est présente dans cette salle, l’Américaine Mary Cassatt, amie d’Edgar Degas, à travers l’œuvre Portrait de jeune fille au chapeau blanc, en 1879. Nous pouvons nous réjouir que son œuvre vienne compléter la collection déjà riche qu’abritait la fondation.

À l’origine, ce musée était pensé comme une maison de collectionneur. Nous avons essayé de basculer vers un lieu plus muséal, tout en conservant le caractère domestique de cet hôtel particulier.

Les Modernes

Eugène Boudin, Crinolines sur la plage, 1863.

La collection comporte plusieurs œuvres du peintre Édouard Vuillard (Le centre de la place de Clichy, 1895, et La réprimande, en 1895). Mais c’est surtout la petite scène d’intérieur « Madame Hess et Madame Aaron causant dans le salon à Ormesson« , une huile sur toile de 1902, qui attire l’attention : subtile, presque floue elle nous plonge dans l’intimité d’une chambre à coucher.

Le collectionneur argentin a tenu à mettre en valeur la figure injustement méconnue du peintre britannique Walter Sickert, à travers une dizaine d’œuvres à la palette plus sombre (proche dans les tons de celle de Vuillard et de Valtat). Citons des toiles telles que le Châle vénitien, 1904, The Pit at the Old Bedford, une huile sur bois datée de 1889. Sickert s’illustre aussi dans sa maîtrise des représentations de scènes urbaines : Coin de la rue Sainte Catherine et les vieux arcades, 1900. Formé auprès de Whistler, Walter Sickert était francophone autant que francophile et particulièrement proche des impressionnistes puis du groupe des Nabis. L’influence qu’exerça sur lui sa rencontre avec Degas en 1883 est perceptible dans plusieurs de ses toiles. Les lieux qu’il représente (scène de Rue, Dieppe, 1910) se confondent avec ceux choisis par les impressionnistes. Walter Sickert fit lui-même l’acquisition de plusieurs toiles de son ami Pierre Bonnard.

Walter Sickert, The Pit at the Old Bedford, 1889, huile sur toile.

La collection dans la collection : Bonnard à l’honneur

Pierre Bonnard, Étude préparatoire pour la femme au peignoir moucheté, 1890

Le courant symboliste est présent, à travers trois œuvres de Paul Sérusier (Mignonne, allons voir si la rose, huile sur toile datée de 1910). Georges Bemberg a choisi de souligner ensuite les figures de ceux qui avaient choisi de rompre avec le courant impressionniste, en se fondant sur la méthode scientifique du divisionnisme en 1880. Les recherches que mena Paul Gauguin en Bretagne permirent entre autre la naissance de l’art nabi.

J’ai particulièrement été séduite par les dernières salles, plus modernes, et la remarquable collection d’œuvres de Pierre Bonnard (trente toiles) que la fondation abrite. Le collectionneur était particulièrement sensible à sa période marquée par l’influence du Japon. Son surnom de « Japonard » au sein du groupe Nabi prend ici tout son sens. L’influence du Japon est perceptible dans les deux autoportraits de l’artiste. On y retrouve le goût pour la couleur tel que l’appréciait Georges Bemberg, déjà annoncé par son goût pour l’art vénitien. Le fonds Bonnard qu’abrite la fondation Bemberg est l’un des plus importants au monde, après le musée d’Orsay et celui du Canet.

Bonnard, pour qui Georges Bemberg avait ressenti un coup de foudre véritable : « Le plus troublant, se rappelle Philippe Cros, est la similitude de leurs deux personnalités, leur goût commun du silence, de la sobriété, du confort sans luxe.« 

Dans le domaine des arts graphiques, Bemberg possède quelques dessins de Pablo Picasso (Nu assis et flûtiste, 1967 au fusain). La fondation Bemberg a récemment fait l’acquisition d’un portrait de l’oncle du collectionneur – qui portrait le même prénom que son neveu – par l’artiste espagnol. Là encore, les arts se mêlent, car de petites sculptures en bronze côtoient les toiles : citons celle d’Auguste Rodin, l’Âge d’airain, 1907, ainsi qu’Eve à la pomme d’Aristide Maillol, 1899. Afin de poursuivre le projet amorcé par Georges Bemberg, la fondation a récemment fait l’acquisition d’une œuvre réputée perdue depuis plus d’un siècle. Il s’agit d’une Adoration des Bergers, un bas-relief en terre cuite du sculpteur génois Angelo de Rossi datée de 1711. Au-delà d’une collection de peintures, nous sommes en présence d’une collection d’art total à la fondation Bemberg. La présence et la volonté de transmission du collectionneur nous touche et perdure. Nous ressortons dans la cour Renaissance avec une impression d’avoir contemplé ce que les artistes de chaque époque proposaient de meilleur. Cette collection permanente semble initier un dialogue ouvert entre tous types d’œuvres : sculpture, peinture, objets d’art.

Jeune fille lisant / Portrait de Julie à Gorey, pastel, Berthe Morisot, 1886, arts graphiques.

Horaires d’ouverture : d’août à avril, ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h, ouvert tous les jours de mai à juillet.

Nocturne les premiers mardis du mois, plein tarif 11€ ; tarif enfant : 6,50€ ; tarif réduit : 8,50€.

Olga Mikhailovna Kolobov

Site internet de la fondation : https://www.fondation-bemberg.fr/

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