Ultimes regards sur Iris van Herpen aux Arts décoratifs

Le 28 avril 2024 marquera la fin de l’exposition “Iris Van Herpen. Sculpting the Senses” au Musée des Arts décoratifs de Paris. À l’affiche depuis le 29 novembre, l’exposition-hommage à l’une des créatrice les plus visionnaires de sa génération retrace en neuf thématiques les principaux questionnements, défis et sources d’inspiration d’une artiste autant fondatrice dans l’usage des nouvelles technologies, que transgressive des normes et artisane au savoir-faire traditionnel.


Née en 1984 au Pays-Bas, elle découvre la mode dans le grenier de sa grand-mère, dans de grandes malles où s’amoncellent des robes d’un autre temps. C’est sa pratique de la danse classique qui forme à la fois son corps et son regard au mouvement, à la fluidité d’un tissu, enveloppe et caresse d’une peau :

Mon intérêt pour la mode était enraciné dans la danse, dans laquelle je suis désormais capable de transformer ces connaissances kinesthésiques en de nouvelles formes et matérialités.

Iris van Herpen

On retrouve très nettement cette caractéristique dans ses créations, évidemment, qui semblent accueillir et protéger le corps tout en le sublimant, autant que dans ses clips de présentation qui le subliment lors de récits sensuels. Je pense à la vidéo “Carte blanche” disponible sur Youtube, réalisée avec l’artiste Julie Gautier.

Nous débutons justement l’exposition par les sections consacrées à la vie dans les profondeurs ainsi que l’eau et le rêve. Cœur de son travail depuis la collection « Crystallization » en 2010, composante du corps humain, cristallisée, éclaboussée, en gouttes de pluie ou en tsunami, Iris van Herpen explore les pouvoirs métamorphiques de l’eau, matériau-fluide que l’on ne croirait jamais voir ainsi mis en valeur dans la mode. Transposée par l’emploi de plexiglas thermoformé et découpé au laser, d’organza de soie, de coton, de polyuréthane, de mylar, de tulle ou de verre soufflé, l’eau confère aux créations une légèreté immatérielle, une profondeur vaporeuse flottante autour d’un corps. Bien plus qu’une matière première, Iris van Herpen considère l’eau comme une ressource essentielle à la vie qu’elle souhaite protéger par l’emploi de plastique recyclé. Volonté symbolique à l’heure de la fast-fashion, inaugurée lors de sa collection automne-hiver 2021-2022 et sobrement intitulée « Earthrise », elle permet d’explorer la fragilité des écosystèmes marins en employant des matériaux de rebut retrouvant ici leur noblesse.

David Uzochukwu pour Iris van Herpen, robe Sensory Seas et robe Nautiloid,
Collection « Sensory Seas », 2020. Collection privée Iris Van Herpen. © DR.

Les créations d’Iris van Herpen sont tout au long de notre parcours mises en dialogue avec des œuvres d’artistes contemporains ou plus anciens, brouillant un peu plus la frontière entre art et mode. Ici, la première œuvre à nous accueillir est celle du collectif japonais 目 (se prononce “Mé”, signifiant “œil”). Paysage méditatif d’une mer de pétrole que j’ai pourtant peu apprécié, l’œuvre reste néanmoins parfaitement adéquate pour évoquer le tumulte des courants marins tokyoïtes, tant visuellement qu’auditivement, plongeant les premières salles dans un courant sonore marin. Ainsi, la créatrice se nourrit des formes et volumes de la faune sous-marine entendue dans son ensemble : planctonique, animale, peuplée d’êtres unicellulaires, hydrozoaires, de méduses, mais aussi des reflets, couleurs, textures et structures des coraux ondulant au gré de l’eau.

Iris van Herpen, bustier Arachne, collection « Meta Morphism », 2022. Polyuréthane, mylar, tulle. Collection privée Iris van Herpen. © Dominique Maitre.

Les sections suivantes sont celles évoquant la force créatrice du vivant. On y trouve ici la plus parfaite mise en regard entre des créations aux structures puissantes, des aquarelles sur vélin du naturaliste Charles Alexandre Lesueur, des planches de dessin du biologiste Ernst Haeckel qui mit en lumière les premiers organismes microscopiques au XIXe siècle, des squelettes de l’institution taxidermiste Deyrolle et des œuvres saisissantes de fragilité technique comme celles de papier découpé à la main et au laser de Rogan Brown, les ruches d’abeilles évoluant dans des polyèdres de l’artiste chinois Ren Ri, ou encore de tissus tressés par Janaina Mello Landini.

Janaina Mello Landini, Ciclotrama 310 (de la série « Superstrato »), 2023. Fils divers (sisal, coton) sur toile en lin.
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière.
Rogan Brown, Fallen Angel Wings, 2014. © Rogan Brown Art.

Les forces du vivant sont ainsi tout à la fois évoquées : la morphogenèse, la cire d’abeille, l’étude des champignons… chaque œuvre mêle étude du vivant, art et science.

Luigi et Iango pour Iris van Herpen, robe Skeleton, en collaboration avec Isaie Bloch, collection « Capriole », 2020. Collection privée Iris van Herpen. © DR.

À l’étage, nous arrivons alors dans la « matériauthèque », introduite par un petit mot d’accueil de la créatrice nous encourageant à parcourir son espace de travail, où des centaines d’échantillons de tissus, polymères et cristaux tapissent le mur, à l’image d’un vaste cabinet de curiosités. Libres de toucher, de s’approcher de plus près, cet espace, inédit par rapport aux précédentes expositions de mode du musée des Arts Déco, renseigne sur la nature, à mon sens, particulièrement généreuse d’Iris van Herpen. Non contente de produire des clips d’une extraordinaire beauté, elle en poste également les coulisses et filme régulièrement ses équipes. Justement, dans une petite pièce adossée à cette « matériauthèque », un documentaire diffuse des extraits de défilés et des temps de travail en atelier. L’exposition, en plus de nous donner les clés de lecture de cette géante de la monde, nous permet ainsi de plonger dans son processus de création. Existe-t-il de spectacles plus bouleversants que les séquences en atelier où l’on peut admirer la finesse de la conception en trois dimensions, la minutieuse précision de chaque geste, de la disposition à la main de chaque détail sur le modèle, de chaque millimètre de polymères sur le tissu ou sur des armatures souples découpées au laser, la beauté des mannequins, de leur corps filiforme sublimé par ces formes organiques… Peut-on seulement imaginer travailler d’une acribie si parfaite ?

Plus que les dernières salles, le clou du spectacle réside, à mon sens, dans la monstration des bijoux de tête dans une scénographie sobre, sombre et efficiente de simplicité.

Iris van Herpen livre une composition architecturée, animée par un moteur ou statique, qui réinvente ces bijoux et confère, si besoin, encore davantage de structure et de majesté à ses robes, que l’on peut désormais désigner, sans craindre un excès d’éloquence, comme des œuvres.

Ainsi, Iris van Herpen vient remettre en perspective les paroles d’Yves Saint Laurent déclarant que « la mode n’est pas un art, mais il faut être un artiste pour faire des vêtements », en prouvant que sa mode, nourrie par sa curiosité insatiable pour tant de disciplines à la fois, est son art.

Courez donc (re)-découvrir son travail et cette exposition si bien construite.

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