
Mai 68 – Mai 2018. Cinquante ans séparent ces mois et le temps de la célébration est venue. Cinquante ans ont passé depuis les révoltes qui ont donné un autre visage à Paris. Ce mois devenu historique est aujourd’hui célébré par de nombreuses institutions comme la Cité de l’Architecture ou le Centre Pompidou qui a une belle programmation. Mais du côté des personnes lambdas, comme vous et moi, comment se célèbre cet épisode historique ? Les étudiants du Master 2 Création éditoriale multi-supports de la Sorbonne à Paris nous donnent une clef de réponse avec leur ouvrage Mai 2018 Dernier inventaire avant révolution publié dans leur maison d’édition éphémère, Les Cahiers de l’Asphalte.
« C’était comme si l’humanité cherchait à rattraper le temps pour mieux le dépasser, dans l’espoir de pouvoir, enfin, se reposer. Mais, elle se rendait compte que ce n’était pas ce qu’elle recherchait, que rien ne servait de courir, il fallait mourir à point » Florien Moreau, La faim n’est que le commencement
Késako ?
Les Cahiers de l’Asphalte est une maison d’édition éphémère réalisée par les d’étudiants du Master 2 Création éditoriale multi-supports de la Sorbonne. Chaque année, l’institution leur donne un thème à travailler afin de mener ce projet. Pour l’année scolaire 2017-2018, il s’agissait de « Cours camarade, le vieux monde est derrière toi ! », un des slogans de mai 68. Après de nombreuses réflexions, ils ont décidé de s’imprégner du thème pour faire leur propre révolution en mai 2018.
Un appel à texte lancé sur les réseaux sociaux intéresse de nombreuses personnes, des adolescents aux adultes confirmés, qui donnent chacun leur propre aspect d’une révolution ou leurs souvenirs de Mai 68. Bref, la parole est libre et multiple. Chacun a son propre parcours et hurle des slogans par le biais de la plume. Des rencontres se mêlent et se font. Sur les 150 contributions reçues, 50 ont été publiées. Un choix drastique qui permet de créer un livre de qualité aux multiples intonations.
Une de leurs caractéristiques qui est soulignée sur leur site internet, est la démocratie. Ils sont trente étudiants et chaque décision a été prise démocratiquement, avec de nombreux débats. Une manière de faire dans la vie réelle qui est aussi visible dans ce qui en a découlé.
« Le joli mois de mai comme on dit. C’est le temps des cerises. Et des pêches dans la gueule. » Pierre Renier, Qui nous gardera de nos gardiens ?
Entrons dans la marche…
Le graphisme permet de mieux encore nous accueillir. Une jaquette amovible, des couleurs percutantes, un dos composé de colle mettant au grand jour la reliure… C’est à la fois une oeuvre d’art par sa beauté et sa fragilité qu’un pavé à lancer dans la marée humaine pour mener de plus amples discussions. Il a un côté do it yourself attachant, comme une pancarte de manif’ aux multiples slogans fleuris.
À l’image d’un rassemblement, ce livre raconte des histoires et chemins différents sous des formes aussi diverses. Poésie, B.D., théâtre, nouvelles… Chacun a sa manière de voir les choses et de les exprimer.
Parfois le ton est lyrique parfois plus sociologique. De temps en temps, on a l’impression que des éléments auto-biographiques se glissent dans les lignes de ces auteurs après avoir pris connaissance de leurs biographies. Les mots peuvent être crus, les métaphores voluptueuses mais le message est clair : la révolution est en marche si elle n’a pas déjà commencée. La thématique de l’humain usé par la vie revient à maintes reprises. Le « Système » est pointé du doigt et ses acteurs aussi. Les faits peuvent être réels, évoquants des noms de personnalités politiques connus, menant à une critique de la vie non fictive ou à une utopie.
… et écoutons leurs paroles
Juliette Beau a tout le parcours d’une littéraire : classe prépa, licence de lettres classiques mais aussi une des lauréates du Prix Clara 2010. Elle n’a donc jamais quitté le doux monde des livres et a décidé de ce plonger dans ce master d’édition. De son arc aux multiples cordes, elle aide à la réalisation de cet ouvrage hors normes.
- Pourquoi avoir choisi ce Master ?
Tout simplement parce qu’on a un projet tutoré (faire un livre avec la promo) en l’occurence, et que j’adorais ceux faits par les éditions précédentes. J’avais besoin de mettre en application les cours de manière concrète. D’autres masters ne proposaient pas cet aspect ou pas jusqu’à la promotion au Salon du livre et la vente en librairie (que je voulais absolument faire). J‘avoue que je suis Sorbonnarde jusqu’au bout des ongles aussi et que la dimension littéraire du master était très importante pour moi.
- Quelle a été ta première impression lorsque tu as entendu le thème de l’année ?
« Diantre, va falloir que je révise ! » J’avais une idée assez vague de ce qu’était Mai 68, en gros quelques notions d’Histoire et quelques visuels d’affiches en tête. Du coup, j’étais particulièrement enthousiaste à l’idée de me plonger vraiment dans Mai 68, sachant qu’on avait une belle bibliographie pour notre été !
- Comment as-tu vécu ton travail au sein des Cahiers de l’Asphalte?
Aux Cahiers de l’Asphalte, j’étais dans deux pôles : le pôle illustration et le pôle diffusion-distribution (en l’occurence je m’occupais de mettre les livres en librairie). J’étais également chargée d’un texte (réécritures, corrections, relations avec l’auteur) et en plus de ça comme toutes les décisions se prenaient en commun, je touchais un peu à tout. Inutile de dire que je n’ai vraiment pas chômé ! J’ai vécu ce moment comme une stimulation intellectuelle et physique (c’est lourd les cartons de livres) sans précédent. C’était sans arrêt l’effervescence et j’ai adoré ça. J’ai trouvé hyper riche de discuter avec les autres membres de ma promotion (trente tout de même, ça fait de très longs débats !) de chaque aspect du livre, et de voir que chacun ajoutait sa petite touche personnelle. C’est ce que j’aime dans le métier d’éditeur, le travail d’équipe. Et surtout, je me souviendrai toute ma vie du bonheur qu’on a ressenti en ouvrant les premiers cartons et en découvrant un livre imprimé.
- Comment est venue l’inspiration pour ta contribution ?
Personnellement, je fantasme plus la révolution que je ne la mets en pratique, et j’ai participé à très exactement,une manifestation dans ma vie. Parfois j’ai l’impression de passer à côté de l’histoire, et de ne pas assez m’engager. J’avais envie d’écrire sur ça, sur un fantasme inassouvi de participation à un mouvement social. Mon personnage est un petit vieux qui est passé à côté de Mai 68 et espère pouvoir se rattraper en mai 2018, c’est un peu moi… Je suis partie d’une première phrase sur la rumeur de la révolution que le vieux entend au dehors, et ensuite j’ai développé. Je fonctionne très souvent à partir d’une phrase. Ensuite, avec le camarade chargé de mon texte, on a réécrit, changé un peu la situation de départ (le personnage était en prison dans la première version, alors que dans la seconde il est dans un squat’), pour améliorer le rythme et la cohérence de l’histoire. C’était la première fois que je retravaillais autant un texte avec quelqu’un et je le conseille à tout écrivain débutant, c’est très enrichissant
- A titre personnel, que t’évoque Mai 68 ?
Mai 68 m’évoque surtout et avant tout le rêve et un univers graphique très riche. Travailler avec les illustratrices m’a vraiment permis de mesurer le poids de l’image sur la diffusion des idées, et c’est sans doute ce que j’ai appris de plus important cette année.
Pour leur rendre visite : http://lescahiersdelasphalte.fr/