
C’est dans un bâtiment néo-classique trônant sur l’avenida del Libertador que siège le Musée National des Arts Décoratifs de Buenos Aires. Réalisé entre 1911 et 1917 par l’architecte René Sergent, le Palais Errázuriz Alvear devient musée en 1937 après avoir été vendu à l’État Argentin sous la promesse de pas disperser la collection abritée. Visiter ce musée est donc un voyage dans le temps, une escapade au début du XXe siècle.
Le palais a été construit pour accueillir Josefina de Alvear et Matías Errázuriz Ortúzar. Ce couple, dont les familles d’origine espagnole sont arrivées au XVIIIe siècle, fait partie de la haute société politique : chilienne pour les Errázuriz et argentine pour les Alvear. En effet, l’oncle de Josefina, Torcuato de Alvear, a été en 1880 le premier maire de Buenos Aires et son cousin, Marcelo de Alvear, a été président du pays en 1822.
Matías Errázuriz Ortúza est diplomate chilien, il rencontre Josefina à Buenos Aires et se marie avec elle en 1897. Ils partent habiter en France entre 1906 et 1916 avec leurs enfants à cause de missions diplomatiques et réalisent durant ces années une des plus belles collections d’art. Ils s’enrichissent intellectuellement et matériellement, faisant transporter à leur retour dans leur pays natal, tous leurs biens. Durant ces années d’expatriation, ils firent construire une nouvelle demeure : le palais Errázuriz Alvear. Ils suivirent de près l’élaboration de cet endroit, choisissant autant le style que la décoration. Ils choisirent René Sergent (1865-1927) pour réaliser l’ambitieux projet. Architecte des plus réputés de son temps, il a d’ailleurs réalisé à Paris un hôtel particulier pour le comte de Camondo qui est aujourd’hui le musée Nissim de Camondo. Il travailla aussi aux États-Unis d’Amérique et en Argentine, répandant alors son style classique. Les jardins du palais sont aussi très étudiés, notamment par le paysagiste Achille Duchêne qui travailla notamment pour les châteaux de Vaux-le-Vicomte et de Champs-sur-Marne.
Le rendu final est éclectique. En effet, on retrouve principalement une inspiration de la France du XVIIIe siècle mais parfois celle de l’Angleterre du XVIe siècle. La décoration intérieure est aussi diverse que variée, pouvant revêtir un style néo-Louis XVI comme un style Art Déco.

Le palais est inauguré en 1918, plus précisément le 18 septembre avec une immense fête qui marquera à jamais les esprits de cette génération. Le lieu accueillera aussi d’autres événements de ce genre, notamment caritatifs, qui eux aussi resteront gravés dans les mémoires.

Quand on entend le terme « musée des arts décoratifs », on s’attend à observer meubles et assiettes uniquement. Mais ici c’est tout à fait différent puisque de nombreuses oeuvres classées parmi les beaux-arts sont exposées. C’est aussi découvrir l’intérieur d’une demeure moderne du début du XXe siècle avec notamment les sanitaires qui sont visitables. De plus, un espace en sous-sol accueille des expositions temporaires d’artistes contemporains et montre de manière permanente une petite chapelle qui appartenait au temps du palais.
Parmi les oeuvres de grands maitres, il est possible de citer Rodin ou Fragonard. Le premier, sculpteur français, est très apprécié à Buenos Aires et devait réaliser pour le couple une cheminée tout en bronze. Unique, avec quelques éléments empruntés à la Porte des Enfers, il n’existe uniquement que la maquette exposée dans la grande salle. Celle-ci, convoyée par voie maritime, avait mis du temps à arriver puis les aléas de la Première Guerre Mondiale sont survenus annulant alors la création définitive. Elle a été remplacée par une cheminée d’inspiration XVIe siècle choisie sur catalogue. Le couple n’est donc pas simple collectionneur, il est aussi mécène de son temps.
Le musé comporte aussi des antiquités qui sont aussi bien romaines qu’asiatiques. Chaque pièce est importante pour sa fonction et sa décoration et une autre valeur est ajoutée par les biens présentés. On se retrouve alors pour quelques minutes dans un musée d’antiques, puis dans un palais, puis dans un musée des beaux-arts. Ce cheminement peut d’ailleurs faire penser à quelques dispositions de la Wallace Collection de Londres.

Voici d’autres oeuvres du musée montrant l’ampleur de la collection et les goûts variés de leurs propriétaires…
Le musée comporte plusieurs étages dont certains ne sont pas ouverts à la visite. Parmi eux les cuisines. Cela peut sembler étonnant mais les cuisines se situaient en hauteur et les plats descendaient via un ascenseur pour être servis dans la salle de banquet. On remarque la modernité du bâtiment par ces petits détails se fondant dans la décoration ou par l’aménagement de la salle de bain qui était aux dernières modes. On retrouve aussi des effets personnels ayant appartenu aux anciens propriétaires comme une tenue d’ambassadeur de Matías Errázuriz Ortúza.

Le côté vie personnelle se voit aussi dans la manière de présenter les pièces comme la bibliothèque ou le petit salon. On s’imagine vite la vie mondaine et intellectuelle qui émanait du lieu. Chaque détail est soigné. Dans la bibliothèque, de nombreux ouvrages en différentes langues, une oeuvre de Fantin-Latour ou encore des commandes à des artistes contemporains de leur époque. Dans le petit salon, un buste de membre de la famille côtoie des céramiques chinoises qui répondent au clavecin trônant au milieu de la pièce. C’est un mélange sans nom et unique, l’âme de collectionneurs passionnés.
De ce musée, on apprend donc comment la haute société argentine vivait au début du XXe siècle. On comprend aussi l’importance des arts occidentaux, notamment européens, dans le goût mondain. Avoir ce fond permet aussi de mieux comprendre la ville de Buenos Aires. En effet, cette capitale a de forts accents occidentaux dans la manière de vivre mais aussi dans l’architecture. Ce musée qui par les conditions de l’acte de vente garde son essence même, est une perle au milieu du tumulte de la ville. Un havre de paix qui n’est ouvert que l’après-midi, une capsule où l’odeur de cire d’abeille se mélange avec la musique classique diffusée en continue.