Revue littéraire : Un père sans enfant, Denis Rossano

« Un enfant devenu trésor de guerre, c’est tristement banal. Mais nous sommes en Allemagne, en 1923. »

J’ai découvert ce roman grâce à un de mes cours de mon Master Édition : choisir un livre de fiction qui évoque le cinéma et en analyser la vision. Passionnée d’histoire et surtout de la période de la Seconde Guerre mondiale, j’avais envie d’allier la grande histoire avec le thème du cinéma et ce livre, Un père sans enfant de Denis Rossano a parfaitement répondu à mes attentes.

L’auteur y est le propre narrateur, se glissant dans la peau d’un étudiant en cinéma des années 1980, qui mène un travail de recherche sur le cinéaste allemand Detlef Sierck. Au soir de sa vie, celui-ci s’entretient avec le jeune étudiant et faire revivre sa carrière berlinoise, son exil et son histoire personnelle.

Detlef Sierck, né en avril 1897, est un cinéaste allemand très connu et populaire dans les années 1920 et 1930, très apprécié de Joseph Goebbels, ministre nazi de la propagande. En 1928, il divorce de sa femme, l’actrice Lydia Brincken, devenue une nazie fanatique. En 1933, alors que leur fils n’est encore qu’un enfant, le père est interdit de visite ; il ne peut plus le voir ni avoir sa garde car l’homme s’est remarié avec Hilde, une femme juive.

Le cinéaste voit monter inexorablement l’antisémitisme, s’exile donc aux États-Unis en 1937 et américanise son nom en Douglas Sirk. Grâce à ses mélodrames, il conquiert Hollywood dans les années 1950.


Une complicité se noue entre le jeune étudiant et le vieil homme et leurs entretiens deviennent quotidiens. Douglas Sirk fait revivre les studios de cinéma, le Berlin des années 1930, son deuxième mariage mais n’évoque jamais son fils, Klaus Detlef Sierck. Pour autant, l’étudiant connaît l’existence de celui-ci, devenu jeune acteur du cinéma nazi, et espère que le vieil homme le mentionnera dans son histoire… Le père ne verra son fils qu’à travers les écrans, qui deviennent alors l’unique moyen pour le cinéaste à succès de refaire vivre sa paternité qui lui a été volée.

Dans les années 1980, Douglas Sierck est un cinéaste mondialement reconnu mais peu connaissent son histoire personnelle, qui influence pourtant ses œuvres. En effet, le cinéma de Douglas tourne autour de la question infantile et du déchirement conjugal, comme un miroir de sa vie. Les cas les plus parlants sont le film Schlussakkord (La Neuvième Symphonie, 1936) où les thèmes sont la lutte autour d’un enfant, une épouse infidèle et une fascination pour l’Amérique. Son dernier film germanique est produit un an plus tard, en 1937, La Habanera. Pour l’étudiant en cinéma, ce film est l’adieu du producteur à l’Allemagne mais également à son fils : il approche Astrée ; héroïne du film jouée par Zara Leander, à la personnalité de Detlef.

Astrée est une jeune femme suédoise en voyage à Porto Rico, qui tombe sous le charme de Don Pedro de Avila, l’homme le plus influent de l’île, et se marie avec lui. Neuf ans plus tard, la relation des deux époux s’est considérablement dégradée ; Don Pedro de Avila montre une jalousie maladive envers sa femme et ne supporte pas la façon dont Astrée éduque leur fils. La jeune mère tente alors de rejoindre secrètement l’Europe, en emmenant son fils.

Par ce court résumé qui introduit le film, la similitude est visible avec la vie de Detlef Sierck : en 1937, année de sortie du film, fuir l’Allemagne devient primordial pour la survie de son épouse, Hilde. Un lien s’établit entre Detlef et Don Pedro car le cinéaste ne cautionne pas l’éducation donnée par son ex-compagne à leur fils, élevé comme un parfait aryen. Cependant, au contraire du film, Detlef est conscient que l’exil doit se faire sans son fils, Klaus.

Un sentiment d’abandon est palpable tout au long de cette lecture, autant dans la vie du père que celle du jeune garçon. Klaus, dès son plus jeune âge, sait qui est son père : une boîte à souvenir et les salles de cinéma sont les seuls moyens de le refaire vivre. Conjointement, après 1933 et l’interdiction de voir son fils, Douglas Sirk ne verra son enfant grandir qu’à travers l’écran de cinéma, dans les films nazis où son garçon joue. Les salles de cinéma sont alors le seul endroit intime où le père et le fils se voient et se retrouvent.

« Aujourd’hui, elle pense à l’enfant. Parce qu’il n’a jamais cessé d’être présent, à la surface du silence,
le petit garçon blond des passés dévastés, le fils de toutes les promesses et des espoirs oubliés. »

Klaus devient un acteur reconnu et le film Tête haute, Johannes ! tourné en juin 1940 fait du garçon alors âgé de 15 ans, une vedette du cinéma aryen et est purement propagandiste en relatant les exploits d’une jeunesse allemande pendant la Seconde Guerre mondiale.

Un père sans enfant de Denis Rossano n’est pas tout à fait un roman, ni une biographie et encore moins un livre de souvenirs mais un savant mélange de ces trois aspects où l’auteur livre aux lecteurs un ouvrage riche sur l’histoire du cinéma du XXe siècle. La relation père-fils est le fil conducteur de son récit et l’auteur met en exergue le poids de l’Histoire qui hantera éternellement la vie et l’œuvre du cinéaste Douglas Sirk.

Un père sans enfant, Denis Rossano, Éditions Allard, 20,90€.

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