« L’Éveil du printemps », ou la mise en scène des premiers émois adolescents

Dans quelques mois, la troupe de la Comédie-Française jouera L’Éveil du printemps, de Frank Wedekind, mis en scène par Clément Hervieu-Léger. En attendant, nous vous proposons de (re)découvrir cette pièce de théâtre, traitant d’un sujet révolutionnaire pour l’époque du dramaturge : l’éveil de la sexualité à l’adolescence.

L’éveil du Printemps. Une tragédie enfantine est une pièce de théâtre allemande écrite par Frank Wedekind entre 1890 et 1891.

En trois actes, la pièce suit un groupe d’adolescents allemands vivant à la fin du XIXe siècle, en pleine puberté, découvrant leur sexualité, dans une société conservatrice et religieuse où ces questions sont taboues. Les adultes, comme la mère de Wendla – l’une des adolescentes – , les professeurs, le directeur de l’école, ainsi que le pasteur, refusent de répondre aux questions des jeunes gens, prétextant qu’ils n’ont pas besoin de savoir les choses de la vie à leur âge. Cette absence de communication et de bienveillance de la part des adultes sera un échec pour tous, puisque, ne trouvant pas de réponses auprès de leurs figures d’autorité, les protagonistes vont vivre leur adolescence sans aucun repère, ce qui mènera certains d’entre eux à de funestes destins

A travers cette fresque, cette mosaïque de fragments de vies adolescentes, Wedekind montre de la manière la plus objective possible l’âge des premiers émois, un âge charnière entre l’enfance et l’âge adulte. Si la pièce peut se lire comme une virulente critique de l’éducation morale et religieuse de cette fin de siècle, le dramaturge ne se pose pourtant pas en réformateur, et ne propose aucune solution pour remédier aux tragiques constats soulevés, laissant le spectateur se faire sa propre idée des sujets abordés. Les scènes sont d’ailleurs ponctuées d’humour et de poésie, s’opposant donc à l’idée d’une oeuvre totalement engagée et moralisatrice, comme le souligne le dramaturge dans ses écrits :

〈〈 Pendant dix ans, de 1891 jusqu’à 1901 environ, la pièce en général […] a passé pour une insensée cochonnerie. Depuis 1901, surtout depuis que Max Reinhardt l’a portée à la scène, on ne la tient plus que pour une tragédie très méchante, d’un sérieux de pierre, pour une pièce à thèse, pour un manifeste au service de l’Aufklärung sexuelle, ou encore de je ne sais quel slogan de la pédanterie petite-bourgeoise. Je serais étonné si je vois le jour où on prendra enfin cette œuvre comme je l’ai écrite voici vingt ans, pour une peinture ensoleillée de la vie, dans laquelle j’ai cherché à fournir à chaque scène séparée autant d’humour insouciant qu’on en pouvait faire d’une façon ou d’une autre. 〉〉

(Frank Wedekind, Extrait de Ce que j’en pensais (notes de Wedekind sur ses propres oeuvres, 1911), paru dans À propos de L’Éveil du printemps,op. cit., p. 23-24

Des thèmes controversés…

Sans fioriture ni édulcoration, Wedekind fait du thème de l’éveil de la sexualité le sujet central d’une pièce, pour la première fois au théâtre. Les autres thèmes abordés étaient tout aussi choquantspour les esprits de l’époque : l’avortement, la dépression, le suicide, l’homosexualité, la maltraitance d’enfant, la masturbation, ou encore le viol. Rarement un dramaturge n’avait mis en scène ces sujets de manière aussi crue et directe, ce qui attira sans surprise les foudres des autorités prussiennes. La pièce, considérée comme pornographique, a été longtemps interdite, menacée de fermeture, comme lors de sa première représentation à New York en 1917, ou tout simplement censurée, comme en 1963 à Londres.

Malgré les écueils que L’Éveil du Printemps a pu connaître dans ses premières années d’existence, la pièce n’a pas disparu pour autant. Elle a souvent été évoquée dans les travaux de psychanalystes s’intéressant notamment aux thèmes de l’adolescence et de la sexualité, à l’instar de Freud ou de Lacan.

téléchargement (52)
Lea Michele et Jonathan Groff dans Spring Awakening ©Monique Carboni

Différentes représentations dans le dernier quart du XXe siècle ont contribué à son acceptation par la critique et le public. Une adaptation en comédie musicale à Broadway en 2006, avec Lea Michele et Jonathan Groff dans les rôles principaux, a remporté un très grand succès, remportant huit Tony Awards. Cette adaptation a contribué à populariser la pièce de Wedkind, surtout auprès des jeunes générations.

… et toujours d’actualité

En effet, le succès de « L’Éveil du printemps » vient de l’universalité et l’intemporalité de ses thèmes, qui, cent vingt ans après la publication de la pièce, trouvent une résonance toujours aussi forte : le sentiment d’incompréhension mutuelle entre parents et enfants, la découverte de l’amour et du désir, le tabou entourant l’homosexualité, ou encore la notion de consentement et de zone grise. Avec son ton particulièrement moderne et direct, la pièce nous permet de réfléchir à tous ces sujets, et notamment à la nécessité de l’éducation sexuelle des adolescents. Même si nous ne vivons plus dans une société aussi hostile à la sexualité, il y a toujours beaucoup de tabous, et notamment autour de la sexualité des adolescents. L’éducation sexuelle, pourtant rendue obligatoire par la loi Aubry du 4 juillet 2001, est dans les faits souvent oubliée dans les programmes scolaires, ou bien reléguée à un simple discours sur les dangers des maladies sexuellement transmissible, rendant ainsi le dialogue quasi impossible. De plus beaucoup d’adolescents ont peur ou sont gênés à l’idée de poser des questions à leurs parents, et commencent donc souvent leur vie sexuelle avec des idées erronées ou trop partielles, notamment influencées par la pornographie.

Les adolescents de L’Éveil du Printemps, malgré les nombreuses années qui les séparent de notre époque, nouent donc un dialogue direct et sincère avec les spectateurs, les faisant réfléchir sur le rapport à la sexualité dans notre société actuelle.

« L’éveil du Printemps » sera joué à la Comédie Française du 14 avril au 8 juillet 2018.

1 commentaire

Laisser un commentaire