
© 2016 SITE VIETNAM , marché hebdomadaire des hmongs fleuris
L’artisanat nous cache des choses, il est pour certains révélateur de bien des éléments ; culturel, social autant que politique. C’est le cas notamment chez les hmongs fleuris du Nord du Vietnam, plus précisément de la région montagneuse de Sapa. Peu nombreux, les hmongs fleuris ne sont qu’une partie du peuple hmong qui représente 1% de la population vietnamienne. Nous comptons également les hmongs bleus, blancs et verts.

Reconnaissables et nommés relativement à leurs costumes, tous se déterminent selon la couleur et les motifs de leurs vêtements. Les hmongs fleuris se distinguent des autres par la vivacité et la variété des couleurs qui figurent sur leurs tenues traditionnelles bigarrées. Le tissu se fait ainsi le témoin de particularités relatives à chaque peuple. Il révèle l’activité des hmongs, induit des rites sociaux et enfin affirme une identité politico-culturelle.
Les femmes hmongs fleuris portent d’amples chemisiers, vivement colorés et ornés de pendeloques décoratives et sonores. Elles revêtent une jupe teintée à l’indigo décorée de motifs brodés ou imprimés à la cire, technique appelée batik. La jupe est retenue grâce à une large ceinture d’une autre couleur. Elles marchent pieds nus et portent des jambières. En ce qui concerne la coiffure, elles portent les cheveux assez longs qu’elles nouent et enroulent autour de leur tête voilée d’un tissu coloré. Les costumes, ce sont justement les femmes elles-mêmes qui les confectionnent. Quatre à six mois sont nécessaires pour la réalisation d’une tenue complète. L’apprentissage de la technique du tissage démarre tôt. Dès l’âge de six, voire sept ans, les petites filles sont formées à cet art. La couture devient ainsi nécessairement centrale dans la vie d’une jeune fille. Tout au long de leur adolescence, elles constituent l’équivalent occidental du trousseau en attendant le jour de leur rapt. La pratique est fréquente et ritualisée chez les hmongs, bien qu’elle tende à devenir de plus en plus rare. L’homme capture la femme, et seulement deux jours après, il en informe ses beaux-parents tout en faisant la demande de la cérémonie de noces. Même si la femme a le droit de rentrer chez elle, elle doit obtenir l’accord de ses beaux-parents. Le trousseau constitué par la femme devient un élément central dans la transaction matrimoniale. Il atteste, de par ses motifs et couleurs, l’origine de la femme, prouvant une différence de lignage avec le mari. Dans ce cas, le costume porte une signification nécessaire à l’approbation du mariage. En effet, est condamnée la relation de deux membres d’une même lignée. De leur côté, les hommes sont habillés de manière plus sobre et ne participent pas à l’élaboration de leurs tenues. Ils travaillent dans les rizières. Etagées en plateaux, les cultures sont d’autant plus difficiles à appréhender et demandent une attention particulière. Chez les hmongs fleuris, la division des hommes et des femmes est forte et obéit à un modèle essentiellement patrilinéaire.
Si l’identité associée aux motifs et couleurs est forte, elle s’est renforcée avec les aléas historiques vécus par les hmongs fleuris. Originaires du sud de la Chine, ces derniers se sont rapidement rendus au Laos et au Vietnam, et pour cause, la sinisation forcée. Ce phénomène imposait nécessairement un remaniement de leurs coutumes et de leur organisation sociale. Or, tout semble lié pour ce peuple et une acculturation forcée aurait non sans contrainte conduit à une neutralisation de leurs différences. La préservation de leurs particularités culturelles passe notamment pour eux par la sauvegarde de leurs tenues traditionnelles qui en disent beaucoup sur leur identité. Cette sauvegarde est pour eux impérative tant elle implique, nous l’avons vu à travers l’exemple du mariage, la bonne organisation de leur société. Cette réaction politique, leur exil depuis la Chine vers les pays frontaliers du sud, a donc été en partie motivée par un désir de survivre en tant que hmongs fleuris. Leur déplacement a tout de même impacté leur façon de vivre et de nomades, ils sont devenus sédentaires. Ce mode de vie a favorisé l’élaboration des costumes et a en conséquence joué sur l’importance qui leur est accordée.
En somme, l’artisanat des hmongs fleuris, s’il est révélateur d’une culture, d’un système sociétal et de rebondissements historiques, ne manque pas de se renouveler tant par la place qu’il occupe chez les hmongs que par les techniques qui le constituent. Aujourd’hui, nombreuses sont les femmes à préférer l’élaboration de leurs tenues sur des machines, le travail à la main se faisant de plus en plus rare. Si la technique évolue, la valeur et le sens conférés aux costumes restent, pour leur part, révélateurs de l’identité du peuple des hmongs fleuris.

Réhahn Croquevielle, photographe français désormais installé au Vietnam, a choisi de se faire le témoin de la diversité culturelle, soit des 54 ethnies présentes dans ce pays, avant qu’il ne soit trop tard. La mondialisation est un phénomène, parmi d’autres, auquel les hmongs fleuris sont confrontés. Et, devant l’afflux de touristes généré par celle-ci, ce peuple a choisi de brandir son artisanat afin d’affirmer son particularisme. Ainsi, la question se pose également de savoir dans quelle mesure l’artisanat n’est pas aussi objet de lutte culturelle.
En définitive, loin d’être un unique objet décoratif et utilitaire, la tenue traditionnelle des hmongs fleuris en dit long sur les enjeux qui sous-tendent leur existence.
Emma Cloez