Le Vourdalak, une créature vampirique au cinéma le 25 octobre.

Le Vourdalak est un curiosité nourrie des réminiscences de son réalisateur. D’abord étudiant en arts plastiques et en arts du spectacle, Adrien Beau est un créateur touche-à-tout : sa carrière a débuté comme designer et plasticien chez John Galliano et Christian Dior. Après un passage au théâtre, il fit un premier cours métrage La petite sirène, primé à de nombreuses reprises. Son second film, intitulé Les condiments irréguliers lui a ouvert la porte de la Rogue Film School, l’école de cinéma de Werner Herzog, tandis que Le Vourdalak, son premier long-métrage, fut présenté à Venise lors de la Semaine Internationale de la Critique. Inspiré de la nouvelle d’Alexis Konstantinovitch Tolstoï, le film raconte l’histoire d’un patriarche qui, partant à la guerre, met en garde ses enfants : “Attendez-moi six jours. Si au terme de ces six jours je ne suis pas revenu, dites une prière à ma mémoire car je serai tué au combat… Mais si jamais, ce dont Dieu vous garde, je revenais après six jours révolus, je vous ordonne de ne point me laisser entrer, quoi que je puisse dire ou faire, car je ne serais plus qu’un maudit Vourdalak”.

Cet article fait suite à la projection presse du film à laquelle j’ai assisté pour Florilèges. Une version plus courte de cet article a été publié le 20 octobre dernier dans la Gazette de l’association cinéphile Contre-plongée que je vous invite à découvrir sur Instagram (@contreplongeecine).

Une histoire de vampire aux échos contemporains

Durant son adolescence, Adrien Beau raconte avoir beaucoup exploré la littérature fantastique du XIXe siècle. Lorsque sa productrice lui a indiqué vouloir faire un film de vampire avec lui, il s’est à nouveau plongé dans ces histoires, découvrant une nouvelle qui lui avait échappée à l’époque. Bien différente des contes de vampires auxquels nous avons été habitués, La famille du Vourdalak a été écrit vers 1840, près d’un demi-siècle avant le Dracula de Bram Stoker. Ce livre de référence fut un pilier de cet imaginaire, façonnant l’image du vampire que nous connaissons tous : celle d’un aristocrate glamour vêtu d’une cape et dormant dans son cercueil le jour. Dans l’histoire de Tolstoï, le Vourdalak est un homme simple montrant qu’avant d’être un personnage surnaturel populaire, le vampire était une superstition de la vie quotidienne. Dans la littérature et dans les croyances populaires, les zombies et les vampires étaient, avant leur apparition distincte au cinéma, fondamentalement la même figure : des cadavres ambulants se nourrissant des vivants, que ce soit de leur chair ou de leur sang. Le Vourdalak permet de retrouver cette synthèse originelle. Gorcha, bien qu’il se nourrisse des siens en buvant leur sang, reste un cadavre en décomposition marquant son environnement des traces de son délabrement.

Vlad, Anja, le marquis d’Urfé, Sdenka et Piotr ©The Jokers Film

À la lecture des propos rétrogrades, misogynes et sexistes présents dans la nouvelle d’origine, l’équipe du film a voulu moderniser le conte afin qu’il convienne davantage à notre époque. En procédant à un jeu de puzzle avec les personnages et les éléments narratifs, les scénaristes ont gardé l’esprit du conte pour composer une nouvelle version de la nouvelle. Le personnage principal, le marquis d’Urfé, incarne par exemple l’esprit maniéré qui imprégnait tout le style du texte. Quant au Vourdalak, il peut facilement être lu en tant que figure paternelle, comme une émanation du patriarcat. Le père, symbole social d’amour et de respect, peut être source de domination et d’abus, puisque Gorcha incarne ici une figure autoritaire. Sa voix charismatique et son emprise sur les siens font écho à nos enjeux contemporains. Il est une figure éternelle, refusant de laisser vivre les siens et ne laissant aucune place à l’émancipation des nouvelles générations. Le Vourdalak est un dictateur jouissant du pouvoir qu’il exerce sur sa famille.

Le film semble mettre en scène l’opposition entre ceux croyant en l’autorité du père, la famille de Jegor, et ceux au contraire qui y sont opposés, Anja et Piotr. Lorsque le marquis d’Urfé rencontre la famille, l’on comprend rapidement que l’autorité de Gorcha est transférée durant l’absence de ce dernier à l’aîné de la fratrie nommé Jegor. Celui-ci vit dans la modeste demeure familiale avec sa femme Anja et leur fils Vlad. La mystérieuse Sdenka et le jeune Piotr, interprété par le dernier des frères Schneider, sont les autres enfants de Gorcha. Le contraste est saisissant entre Sdenka dont la présence est d’abord glaciale et les autres membres de la famille. Andrien Beau explique avoir beaucoup travaillé avec Ariane Labed pour inscrire le personnage dans un registre différent. Elle est une apparition dont les gestes semblent issus d’une comédie tragique et dont l’attitude évoque des croyances anciennes. Son personnage est marqué par l’intelligence et l’indépendance d’esprit faisant opposition au personnage de Jegor devenu le bras droit de son père. Il incarne la force physique ennemie de la pensée. Il est le déni qui, par habitude, défendra son géniteur jusqu’au bout, jusqu’à la folie. « Que ceux qui refusent d’ouvrir les yeux répondent des malheurs qui nous attendent » lui dit Sdenka.

Sdenka interprétée par Ariane Labed ©The Jokers Films

Afin de permettre aux spectateurs de mieux être plongés dans le récit, le réalisateur a choisi de créer un espace lointain, sans aucune existence historique et matérielle. C’est avant tout un conte traitant de personnages rêvés. Chacun d’entre eux porte par exemple une tenue traditionnelle des Balkans, à l’exception de Sdenka dont le vêtement composite rassemble des « éléments épars issus des univers dans lesquels ses rêveries la portent » tel que l’explique Adrien Beau. Il soutient également que l’on a tous en nous un courtisan poudré, gentil, vantard mais effrayé. Mais que chacun porte également en lui une « sorcière belle et blessée qui rêve d’errer seule dans la forêt pour y mourir. » Ces deux facettes de l’humanité sont opposées, le jour et la nuit qu’on aime découvrir dans nos fictions, que ce soit chez Disney, dans des séries ou d’autres films. En bref, une humanité commune nourrie de ses contrastes et oppositions.

Donner vie au monstre

Le Vourdalak est interprété par une marionnette de la taille d’un homme adulte, que le réalisateur a imaginée, et construite. Adrien Beau a souvent construit des marionnettes à l’occasion de différentes expériences. Cependant, le décès de sa mère, survenu durant ce projet, semble avoir été une source d’inspiration principale pour la constitution du Vourdalak. L’ayant retrouvée morte, le réalisateur explique le sentiment de matérialité très étrange qu’il a ressenti : « Sa forme, ses traits, sont toujours là, mais la vie a disparu. Ce n’est plus une personne qu’on a en face de nous mais un autre être, voire… quelque chose d’autre. Un « objet ». » Gorcha, à son retour, n’est plus lui-même. Il était important pour le réalisateur de traduire cette matérialité réelle et triviale d’un corps mort mais animé, une impression que l’ordinateur n’aurait pas pu transmettre selon lui. Donner vie à cette créature, c’est souligner l’horreur d’un être qui se refuse à mourir, d’une pensée qui veut avoir encore prise sur le monde.

Les mains d »Adrien Beau, retouchant la marionnette de Gorcha le Vourdalak. ©The Jokers Films

Cependant, des effets visuels ont été utilisés, non par pour donner vie au monstre mais pour effacer à l’écran les bras artisanaux utilisés pour animer la créature. Adrien Beau explique alors être flatté que des brillant créateurs d’effets visuels aient accepté de collaborer avec les effets artisanaux. Le réalisateur a construit la marionnette et double sa voix. Avec l’aide d’un acolyte qui manipulait l’un des bras, Adrien Beau animait sa tête ainsi que le deuxième membre supérieur. Tout l’amour que le réalisateur porte aux marionnettes tient en une citation de Phil Tippett (qu’Adrien Beau répète souvent) qui, au sujet des effets numériques aime dire : « It looks real but it feels fake » [« ça a l’air réel mais ça se sent faux »]. Il ajoute à propos des marionnettes : « It looks fake but it feels real » [« ça a l’air faux mais ça se sent réel »]. Mais le réalisateur s’est également rendu compte avec David Chizallet (son directeur de la photographie) que nos yeux de spectateurs actuels ne sont plus habitués à ces effets artisanaux. L’utilisation de caméras numériques contemporaines, qui témoignent du réel avec une précision vraisemblable, ne convenait donc pas pour transmettre au spectateur le mystère et la sensation spectrale. La pellicule en 16 mm permettait donc d’épouser d’avantage ces choix artisanaux en flirtant avec l’irréel sans chercher à être réaliste. La distance permise par la caméra permet de rendre esthétiquement crédible à l’écran le Vourdalak.

Du point de vue physique, le réalisateur évoque comme principale inspiration le Nosferatu de Murnau : « Cette figure squelettique aux yeux profondément enfouis dans des orbites ténébreuses, se déplaçant comme une bête à l’affût, avec ses doigts griffus, est pour moi l’une des créatures les plus puissantes que le cinéma a créé. » Il souhaitait que le visage de Gorcha transmette une certaine fierté traduisant le sarcasme et l’arrogance du personnage. Le Vourdalak n’a pas de canines pointues, ses pouvoirs résident seulement en l’emprise qui l’exerce par « amour » sur sa famille. Depuis que Bela Lugosi a joué Dracula dans le célèbre film de Tod Browning des années 30, les vampires sont devenus des personnages séduisants et attrayants toujours impliqués dans une histoire d’amour avec un personnage humain. En tant qu’ancêtre des vampires, le Vourdalak va encore plus loin dans son objectif démoniaque de destruction : pervertir tout sentiment d’amour. La malédiction touche même l’amour le plus naïf de celui que porte un enfant pour sa mère.

Le marquis d’Urfé ( interprété par Kacey Mottet Klein ) et Sdenka. ©The Jokers Films

Ce film est le récit d’une double transformation. Pour la famille et Gorcha il s’agit évidemment d’une transmission de sa monstruosité. Au sujet du marquis cependant, il s’agit avant tout d’un roman d’apprentissage. D’abord timide, délicat et s’excusant de tout, le personnage est peu à peu transformé en un homme courageux, voire héroïque. Malgré le contraste qui les oppose, l’on s’attache autant à ce personnage qu’à celui de Sdenka, rôle grâce auquel l’actrice Ariane Labed a reçu un prix d’interprétation lors de la dernière Mostra. Le film surprend d’abord : il est vrai que la réalisation est singulière par rapport aux films contemporains. Mais c’est avant tout cette impression qui donne au Vourdalak tout son charme, dans le sillage des plus grands films du genre.

Maxence Loiseau

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