Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault (1980)

Au royaume de Takicardie, le souverain Charles-V-et-trois-font-huit-et-huit-font-seize s’ennuie. Heureusement qu’il y a cet oiseau moqueur et contestataire pour le divertir. Jusqu’au jour où une « charmante bergère et un petit ramoneur de rien du tout » peints sur les murs du château deviennent des dessins animés au sens propre : ils prennent vie et sont bien décidés à fuir le royaume… Mais le roi, amateur d’art, aimerait bien qu’ils retrouvent leurs tableaux.


Pour Noël, le ciné-club de l’école du Louvre vous invite à venir voir ou re-voir Le Roi et l’Oiseau le lundi 18 décembre 2023 à 18 heures en amphithéâtre Goya.

Avis aux personnes extérieures à l’École du Louvre ! Vous pouvez assister à la séance gratuitement à condition de nous envoyer un mail avec votre nom et prénom (ainsi que ceux des personnes vous accompagnant) au minimum 48 heures avant la séance à cineclubecoledulouvre@gmail.com. Cette inscription est obligatoire dans le cadre du plan Vigipirate, pensez donc à vous munir d’un justificatif d’identité. Il ne s’agit pas d’une réservation pour notre séance.


Beaucoup d’entre nous, enfants, avons eu l’occasion de voir Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault. Le grand oiseau moqueur, les tableaux qui s’animent, mais aussi la morale du film en ont fait un classique du cinéma d’animation français. Mais peu de gens connaissent la longue histoire de création de ce film. 

Le Roi et l’Oiseau, c’est un projet qui est le fruit d’une longue collaboration avec Jacques Prévert à Paris. Né en 1905, formé au dessin à l’école Germain Pilon, Grimault est un jeune publiciste de l’Agence d’Amour lorsqu’il rencontre Prévert. De 1932 à 1936, ils se lancent ensemble dans l’aventure théâtrale au sein du groupe d’Octobre, sur les conseils de Paul Vaillant-Couturier. Après quelques rôles d’acteur, c’est finalement dans la réalisation que Grimault choisit de s’engager. Il ouvre sa société de cinéma d’animation avec le soutien d’André Sarrut en 1936, Les Gémeaux, et produit rapidement ses premiers films publicitaires. Mais Grimault décide rapidement de tenter l’expérience des films d’animation poétiques dédiés au cinéma, et plus seulement à la publicité : son film L’épouvantail de 1943 remporte le prix Émile Reynaud, qui participe au développement des Gémeaux. S’ensuit un premier court-métrage avec Prévert, l’ami de théâtre, qui continue d’écrire de plus en plus. En 1947, alors que Les Gémeaux compte plus de 150 employés animateurs, monteurs, ce qui en fait le plus grand studio d’animation français, les deux amis décident de se lancer dans un long-métrage d’animation. Malgré l’investissement incroyable des équipes, le projet s’allonge, les coûts augmentent et les recettes de la société sont de plus en plus limitées, à tel point que cette dernière fait faillite. Une partie des animateurs est congédiée, tandis que l’autre tente tant bien que mal de finir le film. André Sarrut, principal producteur et investisseur de la société, décide en 1953 de faire terminer et de sortir le film contre l’avis de Prévert et Grimault. Il sort donc une première fois, sous le titre de La Bergère et Le Ramoneur. 

Le Roi et l’Oiseau est le titre que le film prend en 1980, soit 27 ans plus tard, lorsqu’il ressort au cinéma, avec une nouvelle fin ajoutée au négatif original du film, racheté par Grimault. Primé à Venise en 1953, puis par le prix Louis-Delluc en 1980, Le Roi et l’Oiseau raconte donc aussi, en filigrane, les débuts difficiles de l’animation française. Grimault dira : « Tout le monde me dit que j’ai mis 35 ans à faire Le Roi et l’Oiseau, mais en réalité cela m’a pris deux fois cinq ans pour le réaliser, et 30 ans pour trouver les fonds ! » 

Grimault et Prévert donnent plusieurs missions encore plus ambitieuses à leur travail d’animation. Premier long-métrage entamé en France, ils souhaitent dépasser la simple vocation enfantine des films de Disney pour proposer une narration qui soit le support d’une réflexion morale et philosophique. Ce n’est peut-être donc pas par hasard que notre roi tyrannique est amateur de peintures inspirées par le dix-huitième siècle français. Ou encore que la fuite et, en quelque sorte, le renversement politique de Takicardie, soient fortement liés à la figure du ramoneur, activité jugée comme une profession populaire, au même titre, si ce n’est plus déconsidérée, que la classe ouvrière. Cette ambition moralisatrice est aussi visible dans le choix initial du sujet. Prévert et Grimault hésitent d’abord avec le conte d’Hans Christian Andersen qu’ils souhaitent adapter au format du long-métrage d’animation : après de premiers essais avec La reine des neiges et Les cygnes sauvages, les deux poètes estiment que La Bergère et le Ramoneur est le conte qui leur permet le plus de liberté dans l’interprétation, et celui qui correspond le plus à leur ambition politique. 

Au début, le film est réalisé très librement, mais l’idée d’une potentielle diffusion outre-Atlantique interfère progressivement avec quelques séquences du film, provoquant des modifications de certaines scènes ou de certains échanges. Lorsqu’il reprendra le film dans les années 1960, Grimault se battra pour reprendre le scénario original : « Il s’était passé tellement de choses dans le monde depuis vingt-cinq ans qu’on n’avait plus besoin de prendre des gants. Toutes ces injustices, cette violence, ce racisme. Quand on voit autant de choses foulées aux pieds, partout, il n’y a pas de raison de baisser pudiquement les yeux sur tout ça. » Mais l’un des principaux problèmes auxquels se confrontent Prévert et Grimault, lorsqu’ils envisagent de reprendre le film de 1953, est la disparition de tous les cellulos, avec les quelques 300 décors du film, les plans coupés au montage, mais aussi les chutes de son… Le défi est donc de recréer quasi intégralement le film avec une nouvelle équipe d’animateurs. Grimault voit le projet dans ses mémoires comme « faire un nouveau film qui se rapprocherait davantage de l’esprit du scénario d’origine, mais qui serait un film différent, comme peuvent être différentes deux toiles d’un même paysage peintes par le même peintre, l’une par temps gris et l’autre par beau temps. » C’est en 1976 que Prévert et Grimault se rattaquent au scénario. Prévert, très malade, sait alors qu’il mourra avant de voir le film fini et il conçoit la scène de fin du film comme un message, un testament, et une revanche sur Sarrut qui les avait évincés du projet en 1950. 

La réception des deux versions du film est célébrée par le grand public, mais le monde du cinéma est parfois plus critique à leur égard. Les Cahiers du cinéma décriront le film de 1980 comme un « film à haïr », tandis qu’au Japon, il rencontre un grand succès. Miyazaki et Isao Takahata le considèrent comme l’une de leurs plus importantes inspirations. Takahata, spécialiste de littérature française et alors étudiant d’à peine vingt ans, réussit même à se procurer le script original de Prévert en français, qu’il décrit comme un « merveilleux et mystérieux mélange de tension et de démesure ». Les deux artistes nippons rencontreront Grimault en 1992, et lui feront dédicacer le catalogue de l’exposition rétrospective.

Matteo Vassout


Pour Noël, le ciné-club de l’école du Louvre vous invite à venir voir ou re-voir le Roi et l’Oiseau le Lundi 18 décembre 2023 à 18 heures en amphithéâtre Goya.

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