Les Rougon-Macquart, épisode 1 : Famille, je vous hais !

Nous autres littéraires sommes souvent en proie à des lubies et autres projets aussi passionnés qu’incongrus. C’est ainsi que je me suis retrouvée à me lancer le défi de lire dans son intégralité la saga des Rougon-Macquart de Zola.

Au programme, vingt romans parmi lesquels des titres très connus comme Germinal et d’autres beaucoup moins comme La Terre, parus entre 1871 et 1893, abordant un large éventail des thématiques, qu’il s’agisse du clergé catholique, des manipulations politiques au cœur du Second Empire, de la spéculation immobilière ou encore de la misère ouvrière, à travers toute la France. Le projet ambitieux de la saga est celui d’une démonstration des théories de l’hérédité, à travers l’analyse des caractéristiques et tempéraments transmis au fil des générations d’une grande famille, celle des Rougon-Macquart, vous l’aurez compris. Ce projet s’étale sur toute la durée du Second Empire, et s’ouvre avec La Fortune des Rougon, qui pose les bases des multiples intrigues créées par la suite.

La plupart de ces romans sont plutôt volumineux, et tous ont été rédigés dans un registre plus soutenu que ce à quoi nous sommes aujourd’hui habitués, et pourtant, loin d’être indigestes ou repoussants, ces romans se sont avérés étonnamment fluides, immersifs, et indéniablement enrichissants.
Voici donc le bilan de ma lecture des cinq premiers romans du cycle : La Fortune des Rougon, La Curée, Le Ventre de Paris, La Conquête de Plassans et La Faute de l’Abbé Mouret.

La première surprise vécue par mon humble personne a été le caractère addictif de ces récits. Comment aurais-je pu deviner que ces austères classiques souvent placés sur des piédestaux, considérés comme inaccessibles, s’avèreraient aussi prenants, aussi débordants de rebondissements et aussi agréables à parcourir ?

Bien entendu, un temps d’adaptation est nécessaire, et on ne s’immerge pas dans La Fortune des Rougon comme dans d’inavouables publications comprenant dans leur titre les lettres C, L, O, S, E, et R. Mais dès lors que l’on accorde à ces textes sa pleine et entière attention, on se laisse très vite porter par l’art du récit et le sens de la description assez incomparables de Zola.

Difficile en effet de trouver plume plus aiguisée que celle de ce cher Emile – qui, j’en suis sûre, ne se formalisera pas d’une telle familiarité ; après tout, j’ai acheté tous ses livres pour accomplir mon défi, nous sommes presque des intimes à ce stade –, sens du détail plus affirmé, et construction plus rigoureuse de récits. Les romans des Rougon-Macquart sont parmi les plus satisfaisants qu’il m’ait été donné de lire, dans le sens où ils exploitent la moindre thématique dans toutes ses applications, pour un sentiment final d’accomplissement. Les intrigues en elles-mêmes sont déroulées à un rythme implacable digne des meilleures séries télé – dans un registre différent, certes, mais avec une tension tout à fait comparable.

Il y a bien sûr des hauts et des bas au cours de la lecture d’une telle fresque romanesque, des passages moins prenants, des récits moins convaincants, mais l’ensemble reste d’une cohérence et d’une constance assez remarquables, tout en jouant sur différents tableaux et différentes thématiques. D’un côté, La Fortune des Rougon et le très sous-estimé La Conquête de Plassans investissent la petite ville provinciale fictive de Plassans en donnant à voir ses dynamiques, ses hiérarchies, ses petits scandales et autres mécanismes sociaux, et de l’autre, La Curée et Le Ventre de Paris font vivre la capitale à travers de splendides descriptions et des personnages à l’ambition démesurée comme Saccard. Demeurent les thématiques chères à Zola : l’hérédité, la famille, la cruauté des jeux d’influence, l’opposition permanente entre vainqueurs et vaincus, les luttes de pouvoir.

C’est ainsi avec délices que le lecteur découvre les luttes intestines au sein même des foyers ou entre clans, avec l’exemple du couple Rougon prêt aux pires exactions pour s’enrichir et asseoir sa domination à Plassans, quitte à trahir, à mentir, à retourner leur veste, la duplicité de l’abbé Faujas dans La Conquête de Plassans, ou les coups bas de Lisa dans Le Ventre de Paris, hostile à la perturbation qu’est son beau-frère au point de tout tenter pour précipiter sa chute. C’est bel et bien un portrait de la nature humaine que Zola dépeint ici, dans toute son ambiguïté et parfois même sa vicissitude.

Si la qualité de l’écriture s’affirme dans chacun de ces cinq premiers opus, avec notamment des sommets dans les descriptions saisissantes de nourriture, d’odeurs et d’agitation des Halles dans Le Ventre de Paris, on regrettera cependant la baisse de régime constatée avec La Faute de l’Abbé Mouret, un volet qui détonne curieusement par rapport à ses prédécesseurs. Là où les quatre romans initiaux offraient des critiques acerbes et délicieusement ironiques de leur société contemporaine, avec force intrigues complexes et personnages tout en nuances, La Faute se perd dans des pages et des pages de descriptions botaniques niaises et écœurantes au possible, métaphore plus qu’usée de la passion amoureuse, avec une romance immensément prévisible et qui laisse plus indifférent qu’autre chose, pour un livre finalement très décevant. L’histoire d’amour entre l’abbé Mouret et la jeune Albine n’apparaît jamais comme une critique efficace de la rigidité du corps religieux : pour une analyse en profondeur du clergé catholique du milieu du XIXe, préférez sans la moindre hésitation le passionnant La Conquête de Plassans, qui mêle à une histoire fascinante de manipulation psychologique une subtile dénonciation des abus de pouvoir de certains religieux de l’époque.

C’est donc avec enthousiasme que je vais poursuivre ma découverte de la saga, et surtout que je vous engage à vous lancer, vous aussi, de la façon dont vous le souhaitez, à découvrir l’un ou l’autre de ces romans, et pourquoi pas les vingt opus si vous êtes aussi fêlés que moi !

Un article de Mademoiselle Bouquine, Capucine Delattre 

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